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La Presse, 16 janvier 1889

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La Presse
16 janvier 1889


Extrait du journal

En 1887, la Chambre, en rejetant l'article 49 fle la loi militaire élaborée par le général Bou langer, porta un coup mortel à cette réforme. C'est alors que je donnai ma démission de rap porteur et de membre de la Commission de l'armée, ne voulant pas m'associer ânne farce parlementaire et à une apparence de discus sion destinée à tromper le pays. Le cadavre de la loi fut envoyé de la Cham bre au Sénat. Celui-ci fit son métier de Sénat : il mutila le cadavre au point de le rendre mé connaissable. C'est dans ces conditions que la fliscussion a été reprise une fois de plus au Palais-Bourbon. Rien n'en pouvait sortir. Mais nos parle mentaires, suivant leur constante habitude de prendre le pays pour une collection de mil lions d'imbéciles, se disaient qu'un tel débat ferait peut-être bon effet à l'approche des élec tions générales. Or, samedi dernier, par une de ces monu mentales bêtises dont seuls sont capables les Parlements voués à la mort, la Chambre a trouvé le moyen d'anéantir les dernières illu sions qui pouvaient subsister chez quelques esprits naïfs. Sur une proposition de M. Martin-Feuillée, elle a adopté un amendement qui rétablit la deuxième portion du contingent par voie de tirage au sort. Si bien que si cette in vraisemblable loi finit un jour par être pro mulguée, on pourra dire à la France : « Vous vouliez une nouvelle loi sur le recrutement, la voici ; seulement elle est toute pareille à l'an cienne. » L'absurdité de cet amendement MartinFeuillée était si frappante que mon successeur, l'honorable major Labordère, a cru de sa di gnité de faire précisément ce que j'avais fait en 1887, c'est-à-dire de donner sa démission de rapporteur. En vain la Commission de l'armée l'a-t-elle supplié de retirer sa démission ; en vain les journaux cadettistes se sont-ils traînés à ses pieds, en le conjurant de ne pas maintenir « une décision qui serait exploitée par les amis de M. Boulanger contre le Parlement et contre la République » — comme le dit M. Sigismond Lacroix. Le major Labordère s'est montré in flexible; et c'est un brave avocat, nommé Guyot-Dessaigne, qui a consenti à se charger de cette ingrate succession. Beaucoup de citoyens se sentiront pris d'un regain de colère contre le Parlement, en con statant cette nouvelle faillite à des promesses faites depuis treize années. Ils auront tort, et cela pour deux motifs. Le premier, c'est que la réforme militaire, comme je ne saurais assez le répéter,, a été frappée de mort par la Chambre, non pas ces jours derniers, mais çn 1887. Le second, c'est que, parla fatalité des choses, le Parlement ne peut agir autrement qu'il ne le fait. Le Parlement ne représente pas le pays; il représente, sous la forme Chambre aussi bien que sous la forme Sénat, une minorité infime, line oligarchie dont les intérêts sont contraires eux intérêts de la démocratie. Toute réforme consacrant un principe de justice, d'égalité, de droit populaire, porte nécessairement atteinte aux privilèges de cette oligarchie. Elle ne peut maintenir sa situation qu'en faisant des promesses; mais elle ne peut vivre qu'en ne les tenant jamais. Or, parmi tous les privilèges de la classe dirigeante, il en est un qui lui tient au cœur par-dessus tout; c'est celui qui lui permet de ne jamais risquer sa peau et d'envoyer les pauvres diables se faire tuer à sa place. Elle a donc toujours été fermement résolue à ne pas accorder au pays la réforme du recrutement, qui obligerait également tous les citoyens au service militaire. Pour en arriver à ses fins, elle se garde bien de proclamer qu'elle est contre le service obli gatoire pour tous ; mais par ces mille moyens de procédure dont le régime parlementaire est Bi riche, on s'arrange pour rendre inapplicable et illusoire une réforme qu'on feint de voter. Ce qui s'est passé là pour la loi militaire s'est passé ou se passera pour toutes les ré formes ayant quelque portée. Le Parlement ne veut ni de la revision, ni d'une réforme démocratique de l'impôt, ni de l'abolition des octrois, ni d'une défense natio nale sérieusement organisée, ni d'une poli tique extérieure maintenant la dignité de la France. Les expéditions lointaines et rui neuses lui sont nécessaires pour détourner l'attention des questions intérieures, et pour s'assurer des profits matériels considérables autant qu'illicites. Si les citoyens de France trouvent que les choses sont bien ainsi, et que le fonctionne ment d'un tel régime est conforme à l'esprit républicain, il» auront raison d'acclamer la...

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La Presse, fondé en 1836 par Émile de Girardin, fut l’un des premiers grands quotidiens populaires français.

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