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La Presse, 23 janvier 1840

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La Presse
23 janvier 1840


Extrait du journal

mens suisses à la solde du nouveau roi de France, fit proposer à mon père d'entrer dans ce régiment, avec son grade et une haute paye. Mon père répondit : « Je ne connais qu'un drapeau, qu'un maître !... Mon épée ne sortira du fourreau que pour combattre avec les amis de l'empereur, con tre ses ennemis. » Et André, qui écoutait, sauta au cou de mon père, le pressait à l'étouffer en lui disant : « C'est ça, Philippe, c'est ça. Si tu avais eu la lâcheté de manger le pain de ceux qui ont pris la place de notre empereur, du bras qu'il m'a laissé, je me serais fait sauter la cervelle pour ne pas voir ton déshonneur, frère !» »Mon père plaça douze mille florins dans l'entreprise du paquebot à vapeur le fVinkilried, faisant le service de Genève à Lausanne; il garda le reste de la somme pour attendre les grands bénéfices qu'il espérait de cette affaire. Cela fit bien de la peine à ma mère. Avec le revenu des quinze mille florins qui composaient toute notre fortune, nous aurions pu vivre; mais elle n'avait pas été consultée... André hoebait la tête, il n'en augurait rien de bon. « Vous n'eussiez donc.pas agi comme mon mari ? » lui demahda-t-elle alarmé. — « Non, » répondit-il, « mais Phi lippe en sait plus que nous. Et puis, ce qui-est fait est fait; s'il arrive mal heur, eh bien, est-ce que je ne suis pas là ? » » André était plus riche que nous, madame, ses parens et un oncle qui habitait Berne, lui avaient laissé du bien. Généreux André! il a été depuis notre ange secourable,et dès lors il était notre confident, notre consolateur àmamère et à moi. Mon père, fout à son entreprise, passait ses journées,à Genève; nous restions toujours seules. Ma mère ne se plaignait pas, mais elle en souffrait, et André excusait mon père. « C'est bien heureux au contraire, » lui disait-il, « ça lui fait oublier notre bon temps d'autre fois!... » Et ma pauvre mère étouffait un soupir en pensant qu'avec son mari, ses enfans et sept cents florins de rente, elle se fût trouvée la plus heureuse des femmes. «Nous avions.repris presque notre vie d'avant. Maurice, qui depuis le retour de mon père n'osait plus venir aussi souvent, reprit aussi ses ha bitudes comme par le passé. Nous l'aimions tant; et André, lui, ne lui faisait pas peur... Maurice faisait de grands progrès au'dessin, et ce bon André, à qui ma mère avait raconté toute l'histoire du pauvre abandonné, chaque fois que Maurice rapportait une étude la lui achetait pour orner les mur s de sa chambre, disait-il... C'est toujours ainsi qu'A ndré obli geait !...

À propos

La Presse, fondé en 1836 par Émile de Girardin, fut l’un des premiers grands quotidiens populaires français.

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