Extrait du journal

Ce qu’il savait aussi, ce dont Lucien n’avait aucune idée, c’était où l’on va et où l'on ne va pas. Il trouvait drôle de piloter dans le monde extérieur, celui que l’on coudoie et que Tonne salue pas, ces êtres naïfs, aussi ignorants l’un que l'autre et capables de commettre les plus grosses bévues, des bévues de pro vincial de cinquante ans, frais débarqué de Perpignan ou de Tarascon. — Ou ne fait pas ceci ou on ne fait pas cela, disait-il à tout moment, et lorsque la question : pourquoi? posée par Annie réclamait une réponse impossible, il trouvait des raisons si saugrenues, que Lucien comprenait le véritable : parce que, — pendant que sa femme, riant aux larmes, acceptait de bonne loi l'ex plication telle quelle. C’est ainsi que l'hiver commença et continua. Lucien s’était remis au travail, avec moins d’acharnement que par le passé, mais avec un très-sérieux désir d'arriver à se faire un nom. Ii fréquen tait beaucoup moins assidûment l’atelier de son maître où sa qualité nouvelle d’homme marié avait créé entre les au tres élèves et lui une certaine froideur. On l’aurait volontiers raillé, mais on n'osait pas;les railleurs se sentaienttenus en respect par la simplicité de leur cama rade. Et puis, à certain éclair froid dans les yeux de Lucien, on devinait qu’une plaisanterie pourrait mener les railleurs sur le terrain, et ceux qui aiment les plaisanteries grossières ou blessantes ont ordinairement peu de goût pour les estafilades. Donc on ne fit point de re marques au jeune homme sur sa nouvelle situation, mais ce silence même établit une réserve un peu gênante. Cependant le jeune homme n’v prit point garde et continua ses études. II travaillait aussi chez lui. Son ate1 lier vaste et commode lui permettait...