Extrait du journal

En janvier 1871, dans un des der niers combats qui eurent lieu autour du Mans, je fus grièvement blessé à l'é paule. On me ramena à Tours et je fus dirigé sur une ambulance établie dans la maison des sœurs de l’Espérance, rue des Ursulines, au centre de ce quartier pittoresque et silencieux qui s’étend derrière les cloîtres de la cathé drale. — C’est une demeure austère et somnolente, située entre cour et jar din et séparée de la rue par un haut mur où des pariétaires poussent dans les pierres noircies. La cathédrale Saint-Gatien, qui est proche, allonge sa grande ombre sur ce couvent où l’on entend tout le jour des sonneries de cloches, mêlées aux cris rauques des corneilles qui nichent au sommet des tours. *** , Pendant les premiers jours, absorbé par une lièvre violente, je n’eus pas trop conscience de ce qui se passait autour de moi. A travers mes cauche mars,je percevais de vagues silhouettes noires se confondant devant mes yeux troubles, j’avais la sensation de mains très douces appuyant ma tète sur l’o reiller, et de frôlements d'étolfe, légers comme des bruissements d’ailes. Quand la fièvre eut diminué et que mon esprit eut repris sa lucidité, la première chose que je distinguai, un matin, eu m’éveillant, fut une charmante figure de jeune sœur, encadrée dans une coi lie blanche empesée et se penchant vers moi avec une sollicitude atten drie. C’était la religieuse préposée à ma garde. — Elle se nommait sœur Alexis, pouvait avoir vingt-quatre ans et me parut exquisement jolie. — Un visage délicat et allongé, d’un blanc mat, avec de grands yeux couleur perven che, un nez fin aux ailes mobiles, une bouche spirituelle, dont la lèvre supé rieure était estompée d’un soupçon de duvet. — Sous les larges manches noires, ses mains effilées et douces arrangeaient les couvertures avec de minutieuses précautions, et ses paroles étaient encore plus douces que ses mains. Elle m’adressait des questions maternellement familières, auxquelles je répondais avec un timide embarras dont je ne suis pas coutumier, il y a toujours quelque chose d’horriblement gênant pour un homme du monde, jeune et un peu vain, à être soigné par une jolie femme à laquelle il est obligé de se montrer dans le triste et vul gaire appareil des infirmités humai nes. — Mais somr Alexis s’acquittait de sa tâche avec tant d’esprit et de bonne humeur, qu’elle finit par triom pher de ma fausse honte et par me mettre tout à fait à l’aise. Dès que je pus manger, ce fut elle qui s’occupa exclusivement de ma nourriture. Elle m’apportait do petits plats appétissants, préparés avec cette merveilleuse adresse culinaire dont les religieuses ont le secret. Pour vaincre mon manque d’appétit, elle inventait Ides raffinements ingénieux, qui au raient ravi Brillat-Savarin lui-même. Je me souviens surtout de certains bols de lait chaud dans lequel avaient infusé des violettes fraîches, dont la F saveur était délicieuse. Il s'en exhalait "'une odeur suavement printanière, et ; *en dégustant ce lait parfumé il me semblait respirer 1 émanation même de la jeunesse de sœur Alexis. Je le lui dis un jour en riant, et cola amena sur son blanc visage une cou -...