Extrait du journal

LES NEUTRES DE L’INTÉRIEUR par Hiwrice SCHUMANN J’AI rencontré un gros monsieur timide, qui m'a dit : « Enfin ! L’armée Patton et l'armée Montgomery ont opéré leur jonction. Je respire... » L'avoueraije ? Le soulagement de mon interlocuteur m’exas père autant que la panique dont ses semblables ont été sai sis tout d’abord. Car l’un et l’autre reflètent également l’idée tacite que la France peut subir passivement la bonne ou mauvaise fortune, au lieu d’orienter le cours changeant du sort en fonction d’une certitude permanente. Il ne s’agit pas, il ne s’est jamais agi de savoir si l’Allemagne renver sera son destin. Il ne s’agit même pas essentiellement de savoir si elle mettra plus ou moins longtemps à glisser au fond de l’abîme. Le véritable problème est, pour chaque Français en particulier et pour le gouvernement en général, de faire en sorte que tout revers soit l’occasion d’un pro grès, tout retard le prétexte d’une conquête. Telle est, en définitive, l’essence même du gaullisme. Quand la France fut submergée, le général de Gaulle ne se contenta pas de jurer que la victoire commune la rétablirait dans ses anciennes limites. Il promit, en outre, de la ramener à la grandeur, c’est-à-dire de garantir sa sécurité permanente par des frontières stratégiques NOU VELLES. Quand la République fut étranglée, le général de Gaulle se garda bien de dire que la délivrance du territoire res susciterait l’ancien Etat. Il proclama, tout au contraire, que le régime français disparu dans la défaite et le régime allemand engendré par le désastre devraient faire place au Quatrième Etat où la sécurité sociale des personnes donne rait aux libertés politiques leur sens et leur valeur. En d’autres termes, le but fixé dans les heures les plus noires ne fut pas de retrouver ce que nous avions perdu, mais d’aller au delà. Cette doctrine du dépassement don nait déjà, selon Péguy, sa signification mystiquê à l’aventure de Jeanne d’Arc. Sur un plan plus limité, les dernières offensives alle mandes doivent être accueillies dans le même état d’esprit, interprétées selon les mêmes principes. L’attitude lâche se ramenait à dire : « Attendons que le danger passe, puisqu’il est évident que le danger passera. » L’attitude virile consistait à penser : « Le devoir de la France, comme de tout pays en guerre, est de rassembler scs énergies en vue de la mobilisation générale. Mais com ment mobiliser l’industrie sans matières premières ? Et de quel droit mobiliser la jeunesse sans avoir les moyens de l'armer ? Profitons donc de la preuve, administrée par l’en nemi, que la guerre ne sera pas gaenée sans la France pour obtenir de nos alliés les MOYENS de la mobilisation. » Mais il ne suffit pas que le gouvernement soit resté fidèle à sa doctrine constitutive. Il faut que chaque citoyen en prenne conscience pour son propre compte. Aucun neutre n’a sa place dans un pays qui revient de si loin pour remonter si haut....