Extrait du journal
LA CHOIX DE LORRAINE U nouveau, du nouveau ! La patrie en exigeait, elle aussi. Du nouveau qui fût de l’ancien, peut-être, mais alors de l'ancien tel qu’on l'aurait cru depuis longtemps perdu. Car on avait beau essayer d’atti ser le feu patriotique, avant la rude expérience de ces quatre dernières années, la vérité nous oblige de dire qu’il prenait mal. Les gens qui s’étaient chargés de l’entre tenir étaient si ennuyeux dans leurs sermons et leurs exhortations, ce qu’ils disaient était à la fois si usé, si forcé, si conventionnel que, même avec de la bonne volonté, on ne vibrait plus quand étaient évoqués les thèmes classiques du patriotisme. Et puis voilà soudain que la Belle qui dormait au bois s’est réveillée. C’est elle, c’est indiscutablement elle, c'est elle toujours, et il semble qu'elle soit autre, qu’elle ait un autre visaqe. Pourtant, non, à la regarder attentivement, ce sont bien les i.iêmes traits, ceux qui font rêver de liberté et de droiture, ceux qu'animent la passion de la justice et l’amour de la vérité. Mais il y a dans ces yeux qui s’ouvrent une flamme que nous ne connaissions pas, ou que nous n’avions plutôt jamais vue. Cette flamme, je l’ai surprise dans les yeux de ces soldats de la division Leclerc, de ces garçons qui revenaient du Tchad en passant par la Normandie, et elle existe aussi bien chez l’Africain du Sud et l’Africain du Nord que chez le garçon de l’Ile-de-France ou tous ceux de la métropole que qua tre années non pas d’exil, certes, mais d’absence fervente, ont trans formés. Soldats et officiers, ils avaient tous ce regard en arrivant. La foule en fut frappée. Les F.F.I., les militants de la Résistance qui les voyaient sur leurs chars les regardaient avec admiration et ils les « reconnaissaient » : ils reconnaissaient à travers eux la patrie dont ceux-ci leur rapportaient la technique et la discipline, tandis qu'eux-mêmes l’avaient de leur côté retrouvée comme ils l'avaient pu, instinctivement, sans la leçon du maître, au tâter du coeur, pour ainsi dire. Troupes de Leclerc, francs-tireurs de la Libération, à pré sent — et spontanément — ils fusionnaient. Or, sur le casque brun des hommes de la division Leclerc, il y avait un petit signe, modeste et sacré, le même qui est dessiné sur leurs camions et leurs chars, le même qui est imprimé sur les brassards de nos résistants, celui qui commence à paraître sur les drapeaux. Ce n’est qu’un petit signe de rien du tout. Mais il rend une vie nouvelle au symbole de la patrie. Et c’est comme cela qu’a été rendu le souffle à la Belle au bois dormant. Ce n'est pas une invention de l’esprit, notre croix de Lorraine, ce n’est pas le fruit d'une élaboration intellectuelle, ce n’est pas davantage une idée d’artiste. C’est l'indice que tout à coup la France a eu besoin de re nouveler son drapeau sans le changer, en lui ajoutant un accent qu'il n'avait plus. Le général de Gaulle y tient, à sa croix de Lorraine, et les troupes de Leclerc en sont fières. Notre patrie, c’est la patrie de la gentillesse dans l'héroïsme, de l’intelligence dans la ténacité, et c'est la patrie — disons-le — du miracle, tel que Jeanne d'Arc l'entendait, tel que Charles de Gaulle le réclamait. Il fallait un accent au drapeau pour qu'il fût absolument d’au jourd’hui, et c’est ce que le peuple est en train de comprendre. Si la croix de Lorraine figure dorénavant sur le drapeau français, ce ne sera que parce que le peuple de France l'aura voulu. La croix de Lorraine chasse devant elle la croix gammée, pas comme on poursuit une rivale, mais parce qu'il y a un maléfice à conjurer. Rien de mystique en ceci : c’est beaucoup plus ration nel qu’on ne pense. Un signe occulte adopté par l'Allemagne pré tendait faire pièce à la civilisation chrétienne. Celle-ci se dresse avec la simplicité et la modestie de la vraie grandeur, qui est faite de mesure, contre l'insolence d’une ambition démesurée. La nou velle grandeur française, telle qu’on voit fort bien que les troupes de la division Leclerc sont entraînées à la pratiquer, car la grandeur se pratique, la nouvelle grandeur à laquelle le général de Gaulle entraîne la France est faite de magnanimité, alors qu'on ne saurait en déceler la moindre trace dans tout ce qu’ont produit les horribles fascismes. La magnanimité est généreuse, elle donne. L’hitlérisme ne fait qu’ôter aux uns et refuser aux autres. La vertu de magna nimité est sublime et elle est en même temps humaine. Dans l’hitlérisme, il n'y a rien de désintéressé, par conséquent rien de sublime, et il n’y a, systématiquement, rien d’humain. Le général de Gaulle est le contre-poison de Hitler. Avec lui, nous savons que nous luttons contre les ersatz et les mensonges. Nous luttons contre le monstrueux orgueil des dictatures ; nous luttons pour la liberté, mais pas pour la liberté d'être des lâches et des mourants ; nous luttons pour la liberté positive, et propre ment, en tant que nation, pour la liberté d'être le peuple de France dans toute sa grandeur et dans toute sa dignité. Dans toute sa fidélité aussi : et c’est ce que nous rappelle cette petite croix de Jeanne d'Arc qui doit être pour nos actions le poinçon de leur or. Stanislas FUMET....
À propos
L’Aube est fondée en 1932 par Francisque Gay et Gaston Tessier. Ce journal d’opinion, d’obédience catholique et de gauche, a d’abord beaucoup de mal à rallier les catholiques démocrates du pays à cause de son positionnement pas vraiment clair entre socialisme et Église. Il arrive néanmoins à fidéliser un lectorat restreint. Pacifiste et favorable à la politique de Locarno, L’Aube fut souvent violemment attaquée par la droite catholique ainsi que par l’extrême droite, notamment L’Action française.
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