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Le Cafard muselé, 15 mars 1918

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Le Cafard muselé
15 mars 1918


Extrait du journal

LE S1LL0N DROIT C’est une belle chose qu’un sillon bien droit, et j’ai toujours aimé, quand j’avais le bonheur d’habiter la campagne, contempler le laboureur, penché sur sa charrue et le regard dirigé devant lui, conduire son attelage de manière à creuser dans la terre une ligne aussi droite que possible. i .x Une chose est plus belle encore qu’un sillon droit, b’est une vie qui lui ressemble ; c’est pourquoi on a bien fait, jeunes gens dont la journée commence, de vous ilonner comme modèle à suivre cet adolescent, qui, à l’aube de la 'sienne, désire apprendre à conduire sa charrue. Que faut-il ^doncWpour que notre vie ressemble à ce sillon ? Il faut d’abord qu’elle ait un but. La ligne droite se réalise par l’union de deux points. Faute d’un "point de départ ou d’un point d’arrivée, elle ne peut 'être qu’incertaine. Aujourd’hui^ plus que jamais, surtout dans les classes privilégiées, on voit de nombreux jeunes gen's incapables de tracer un sillon droit. ' ' Pourtant leur champ et leur outillage étaient bons. Ils possédaient la fortune, l’intelligeiice, la santé. Ils ont laissé néamoins un sillon incertain et tortueux, non qu’ils aient eu l’intention de mal faire, mais uniquement parce j que jamais ils ne sont arrivés à donner à leur existence un but digne d’elle. Us ne se sont jamais demandé pourquoi ils étaient au monde, d’où ils venaient et où ils allaient. En se laissant vivre, ils se sont laissé mourir ! Jeunes gens, ne les imitez pas I Commencez par bien regarder où vous voulez que Votre vie,aboutisse, à quoi elle peut être bonne, qui elle doit servir. Bien savoir à qui on est et qui on sert, c’est la première condition pour tracer un sillon droit. La deuxième, c’est de se laisser bien empoigner par sa besogne. ' " La charrue a deux bras : pour la bien conduire, il faut que l’homme lui donne les siens, et, comme elle, il n’en a que deux. C’est dire qu’il ne peut pas faire beaucoup d’autres beso gnes en même temps. Avec des mains encombrées, jamais il ne tracera un sillon droit. C’est encore ce qu’-il nous faut apprendre aujourd’hui, parce que dans le temps où nous vivons, il est à la fois plus nécessaire et plus difficile que jamais de se spécialiser. Plus nécessaire, parce que c’est la seule manière de percer...

À propos

Le cafard muselé fut un journal des tranchées édité et imprimé à Bordeaux. Bimensuel, il parut tous les 1er et 15 du mois entre 1917 et 1919. Le journal était tiré sur près d’une quinzaine de pages et était orchestré par un directeur de rédaction signant « Le Gosse ». Il se revendiquait « organe du foyer du soldat », soit un espace de retraite dans les casernes et établissements militaires, sous le contrôle et avec l'agrément de l'autorité militaire, où les sous-officiers et les soldats trouvaient des livres, des jeux d'adresse ainsi que de quoi écrire.

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Données de classification
  • lejeune
  • france