Extrait du journal

LES DEUX AMIS, POUR FAIRE SUITE A LA FABLE DES DEUX PIGEONS. Deux amis s’aimaient d’amour tendre,quoique l’un des deux fût décoré. L’autre fermait les yeux sur cet te infirmité. Point de véritable amitié sans beaucoup d’indulgence. Cependant l’ami non décoré tomba insensiblement dans une sombre tristesse ; plus il fermait les yeux sur la boutonnière de son ami, plus il y voyait res plendir le ruban rouge. On sait que le rouge a le pri vilège d’attirer et de fasciner certains animaux; or l’homme est défini un animal : quelques philosophes ajoutent raisonnable, mais cette épithète est une af faire de goût, comme dit Hyacinthe. Je ne dis pas ceci pour l’ami non décoré, qui est, non-seulement raisonnable, mais écrivain de style et d’esprit. Son ami, le voyant dépérir sur sa tige, lui dit un jour : « Qu’as-tu donc, mon cher B.... ? — J’ai, répondit celui-ci, que je n’ai pas la croix d’honneur. — La croix d’honneur ! s’écria l’autre; que diable en veux-tu faire ? ' — Mais toi-même, mon cher J. J.,que fais-tu de la tienne? — Absolument rien. — A la bonne heure; mais si je tiens au ruban rouge, ce n’est pas tant pour moi que pour mon por trait. On voit figurer tous les ans, au Salon, une toile représentant un monsieur brun, à forte moustache, d’une tête expressive solidement posée sur une large ■ cravate, et l’habit rigoureusement boulonné. Ce mon-...