Extrait du journal

E ù-ce qu’il ne vous prend pas des envies de rire, ou plutôt de hausser les épaules, quand on vous parle de civilisation, et surtout, bien entendu, de notre civilisation au dix-neuvième siècle? Il semble, à les entendre, que la civilisation con siste à ne pas manger sa viande avec ses doigts ; A porter sur le derrière de la tête et non plus sur le devant la raie des cheveux; A ne pas se risquer sur le boulevard des Italiens sans gants beurre frais ou cuisse de nymphe ; A... On n’en finirait pas, si l’on voulait décrire à quelles conditions on passe pour un peuple civilisé. — A notre avis, la civilisation consiste à avoir les uns pour les autres la bienveillance qu’on doit à des êtres de son espèce, et dont on a directement ou indirectement toujours besoin; en deux mots, la ci vilisation consiste en une réciprocité de bons pro cédés. — Ah ! bon ! vous en êtes loin. — C’est justement pourquoije disais tout à l’heure que l’envie me prend de hausser les épaules quand j’entends citer la civilisation au dix-neuvième siècle. — Au moment où vous parlez, on est en train d’en faire preuve en bons procédés. — Vous voulez parler de la guerre d’Orient? — Oui.' — Eh bien ! puisque vous amenez la conversation sur ce terrain, je dis que tant que la guerre exis tera, tant qu’eile sera considérée par certaines gens comme un mal inévitable, je dirai plus, comme un mal nécessaire, nous pourrons toujours nous regar der comme des barbares. — Tout cela a été dit et redit, mais le fait ne s’en reproduit pas moins de cinq à six fois par siècle en général, et souvent plus. D’où je conclus... — Qu’il est inévitable ? — Il faut bien le croire. — Mais a-t-on d’abord cherché tous les moyens ? — Il semble que le moyen qui s’offre d’abord à l’esprit, à la raison, à l’humanité, c’est de s’inter poser entre les belligérants. — C'est justement ce qu’a fait la diplomatie de puis six mois. — Et fort inutilement. — Hélas ! oui. — Et cela ne vous paraît pas un procédé de civi lisation? — Je l’accorde. Je crois qu’il y a'huit siècles, on y allait plus lestement, et c’est déjà un bon pro nostic. — C’est incontestable. — Cela prouve que les peuples commencent à comprendre que ce sont eux qui payent les frais. — Eh bien! que vculez-vous? quand on a fait ce qu’on peut, on a fait ce qu’on doit. La diplomatie a échoué, à un antre moyen, s’il en existe. — Très-bien parlé. — Est-ce que vous en connaissez un, vous? — Dites. — Oh! si je le proposais, vous vous récrieriez. . —Non, pourvu qu’il soit applicable. , — Puisque vous avez si bonne volonté, permettezmoi de procéder par raison démonstrative, comme aurait dit M. Jourdain. — Démontrez. — Si, en 1870, l’empereur Napoléon III n’eût pas eu ses raisons particulières de politique intérieure ; Si Sa Majesté, croyant avoir un peu. trop lâché la corde, n’eût pas voulu remonter sur ses grands chevaux de 1852 ; Croyez-vous que nous aurions eu cette fameuse...