Extrait du journal
les pouvoirs, plus roi que tous les rois, ne soit plus qu’un morceau de bois fixé transversalement sur un poteau, et at tenant à une ficelle ? Il faut moins de chose encore que pour réduire un roi à n’être plus qu’une masse de chair entremê lée d’os, plus ou moins bien organisée et plus ou moins in telligente. Il faut un brouillard, un nuage. Voyez à Lyon , par exemple ! quelle plus magnifique oc casion s’offrît jamais pour le télégraphe, d’étaler sa puissance, et de développer ses immenses facultés ? C’était là, plus qu’en aucun temps, le moment d’établir entre le Rhône et la Seine, ce rapide dialogue qui eût suspendu en l’air de si gra ves destinées. Lyon : « Les ouvriers en soie ont arrêté le travail. Il y au rait urgence à leur adresser des paroles paternelles. » Paris : « Nous sommes de cet avis. Faites distribuer des cartouches à toute la garnison. » Lyon : «Les ouvriers de tous les corps de métiers ont aussi quitté les ateliers. Ce serait le cas d’entrer en négociation avec eux. >* Paris : « Nous sommes de cet avis. Faites marcher sur Lyon les garnisons voisines. » Lyon : « Le nombre des coalisés augmente d’heure en heure, et l’irritation s’accroît entre les ouvriers et les fabricans. Ce serait le cas d’obtenir quelques concessions de part et d’autre. » Paris : « Nous sommes de cet avis. Consignez tous les régimens, l’arme au bras, et fortifiez toutes les casernes. » Lyon : « La ville est dans la consternation. Les proprié taires s’empressent de faire sortir leurs valeurs les plus pré cieuses. Ce serait le cas de tenter une réconciliation. » Paris : « Nous sommes de cet avis. Armez les forts des hauteurs, et braquez des canons sur tous les points, mèche allumée. » Ainsi de suite, jusqu’au moment où un coup de ficelle, tiré de Paris, aurait gesticulé à Lyon, pour opérer la récon ciliation désirée, ce mot décisif : « feu ! » Eh bien! rien de tout cela n’a pu avoir lieu. Pendant que la bourse, la chambre des députés, et Paris tout entier, at tendaient dans l’anxiété la plus vive, le dénoûment de cette situation désespérée, le télégraphe était immobile, et restait en l’air, les bras ballans, non moins inutile qu’un obélisque de Luxor. Le télégraphe qui peut-être avait porté, la veille, la nou velle de la démission d’un garde-champêtre, n’a pas pu dire pendant huit jours : «Le calme renaît dans Lyon. » Ou bien : Lyon est bombardé par les forts. » Et tout cela pour un brouillard ! C’est le brouillard qui a empêché le télégraphe d’être télégraphe , au moment où tous les regards étaient fixés sur lui, au moment, unique peut-être dans la vie d’un télégraphe, où il pouvait être l’arbître de tant d’intérêts et de tant de cruelles incertitudes. Bref, grâce à ce malencontreux brouillard , il en a été du...
À propos
Fondé par Charles Philipon en 1832, Le Charivari fut le premier quotidien satirique illustré au monde. Régulièrement poursuivi pour sa critique de Louis-Philippe, le journal disparaît néanmoins bien plus tard, en 1937.
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