Extrait du journal

Onze heures trois quarts !,.. Il est temps d’aller chercher mes clefs. Quel chien de métier tout de même! Pendant le jour, je dors quatre ou cinq heures, et le reste du temps je me promène dans mon passage en fumant des pipes. La nuit, à partir de la douzième heure, il faut m’asseoir sur une mauvaise chaise, dans une guérite de carton et ou vrir la porte à tous les gens qui se permettent de rentrer tard. Ah! fichtre dé fichtre! j’ai vu Ausierlitz, j’ai vu Water loo... c’est même en ce dernier endroit que j’ai perdu mon bras gauchi1. Mais je croîs que, si j’étais le maître, j’aime rais mieux perdre mon autre bras sur un champ de bataille que de m’abrutir encore pendant vingt ans à garder ce passage. Heureusement je deviens v;eux, et je n’en ai plus pour vingt ans à faire sentinelle dans ce défilé. Après moi, ça n’est pas un invalide qu’il faudra mettre ici ; le poste est digne d’un mannequin. Un mannequin mé canique, ça fera l’affaire... Car je défie bien qu’on trouve un homme doué d’assez de patience pour faire une besogne aussi stupide. 11 n’y a qu’une vieille moustache comme moi, habituée à la discipline, qui puisse ne pas crever d’ennui dans ces fondions de geôlier. Mille millions de cartouches ! pourquoi qu’un bon boulet ne m’a pas coupé en deux ?... Allons, bon ! c’est tous les soirs la même chose. Ces im béciles de passans m’emplissent de boue le trou dans le quel j’enfonce le verrou du bas de ma porte....