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Le Figaro, 14 juillet 1902

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Le Figaro
14 juillet 1902


Extrait du journal

A l'heure où des télégrammes d'un effrayant laconisme nous avisent que la montagne Pelée a repris son œuvre d'épouvante et de mort, j'ai voulu voir la petite Martiniquaise qui vient de débarquer à Paris. Vêtue d'une robe d'étamine à fleurs et d'un tablier de mousseline à plis, les bras et le cou chargés de colliers et de bracelets de corail, les cheveux de laine noire couverts d'un écla tant madras, elle a, sur son visage de bronze clair, le plus tranquille, le plus ingénu, le plus joyeux des sourires. D'où vient-elle au juste? Qui l'envoya? Nul ne le sait. Nul n'en saura jamais rien. Elle portait, épinglée à sa jupe, une carte avec ces simples mots : Ecole primaire de Saint-Pierre (Martinique). Quelques menus travaux de couture et de broderie, une mignonne cou ronne de perles blanches et bleues, comme il y en a sur la tombe des tout petits, accompa gnaient l'envoi mystérieux, —joli mystère que la mort a fait tragique. On a noué un nœud de crêpe étroit à la cou ronne de perles bleues et blanches; on. l'a posée aux pieds de la petite inconnue, et elle porte ainsi le deuil des fillettes de là-bas, qui eurent le même sourire joyeux et puéril dans le même visage de bronze, clair — des fil lettes qui la vêtirent, il y a si peu de jours, de leurs doigts agiles, et qui ne sont plus main tenant que de petits os anonymes, enfouis sous la cendre.... Et de ce qu'on l'a mise à la place d'hon neur, je ne vois aucune jalousie, mais au con traire une pitié tendre, dans les yeux d'émail des exquises personnes* aux somptueux cos tumes qui sont devenues ses compagnes. Car la petite Martiniquaise est une poupée, une de ces poupées merveilleuses qu'une femme, Mlle Kœnig, a fait venir des quatre coins du monde et qui paraissent très sur prises de vivre ensemble dans une des salles de l'austère Musée pédagogique. Au Musée pédagogique? Des poupées? Sans doute. Ne nous donnent-elles pas la plus gra cieuse et la moins pédante des leçons ? Et ce n'est pas seulement à nous autres femmes que parlent leurs lèvres muettes. Quel philo sophe ou quel poète saura nous dire par le menu tout ce qu'elles enseignent ? C'est d'abord, fût-ce au passant le moins attentif, la diversité infinie des âges, des lieux, des races et des mœurs. Dans les plis de leurs robes fanées, il y a de l'histoire faite avec du rêve. Les poupées nous racontent silencieusement l'ancienne France provinciale. La grosse et mélancolique Bretonne aux jupes lourdes, l'Arlésienne fine et vive avec son châle en pointe et ses gestes de farandole, l'Alsacienne, la Normande, la Béarnaise, toutes savent nous dire avec un bout de soie, de velours, de ruban ou dé dentelle, cc qui fut la grâce et la beauté des femmes de chez nous... Mais, quel que soit l'intérêt ethnographique...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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