Extrait du journal

. Une haute raison, si lucide dans son dé sintéressement, une conscience si passionnée de scrupules qu'elles entraînent un cœur à la retraite, en pleine force, parce qu'apparais sent les premiers maux d'une vieillesse ad mirable et qui ne connaît pas la fatigue, mais qu'une infirmité a menacée, c'est un spectacle qui'excite l'émotion. A la .Salle, des Agricul teurs, devant ce public d'amis que, depuis seize ans il présidait avec un infatigable dé vouement, avec la constante volonté de dé fendre leurs intérêts — les intérêts de laterre française — le marquis de Vogué,hier, a pro noncé son discours d'adieu. ' Paroles d'adieu, plutôt, et qui n'avaient rien de la froide sévérité d'une manifestation officielle,- paroles qu'on -dit, les - mains ten dues, à de vieux amis qu'on quitte, au seuil du voyage, et qu'on regrette et qu'on aime. Cette démission du marquis-de Vogué était officielle déjà. Ici même on a lu là belle lettre qu'il écrivit aux agriculteurs de France pour leur apprendre sa volonté. Atteint d'une ma ladie des yeux, qui ne lui permettait plus, jugeait-il,, de'présider utilement cette Société, il cédait si place,- il rentrait dans le rang» Il écrivait : ~ i< Je suis récemment entré dans ma quatrevingt-troisième année. Quoique, Dieu merci; ma santé générale soit encore bonne, je suis menacé par des infirmités incompatibles avec la présidence d'une grande société ; je ne me, sens plus en-état, d'en exercer convenable ment les fonctions ; ma conscience me fait un devoir de les résigner. » • . Cette décision qui affligeait ses amis ne les surprit pas. Ils connaissaient l'homme, sa vie si droite, cette probité de conscience, rigide, qui n'avait' des faiblesses qu'aux actes de bonté et de charité. Là où il pensait ne plus pouvoir remplir des devoirs, il refusait les hon neurs. On savait ce que valait une de-ses dé cisions. On n'insista pas. On le gardait ce pendant, et cela consolait. Tout de même, on voulait lui laisser le sou venir d'une belle fête d'adieu. On lui prépa rait un honneur qui lui fût sensible. On voulait se satisfaire à l'applaudir. Avec sa bravoure bienveillante, il vint. "Grand, large d'épaules, avec un air de commandement et 'de bonté, et ce masque émouvant, le geste tragique des aveugles, qui cessent de voir ' l'illusion trompeuse des décors, qui regardent au loin en relevant la tête, le marquis de Vogué parla. Il parla, il dit les paroles mêmes qu'on de vinait, à voir ce visage de force et de douceur. Il s'exéusa de n'apporter pas, comme chaque année, un compte rendu, des travaux et une liste des projets. 11 s'excusa presque d[une faiblesse, qui le surprenait ainsi, tandis qu'il se sentait encore si énergique : ses pauvres yeux en étaient la cause. Seulement, en quit tant ce fauteuil, où, seize ans, depuis la mort du regretté marquis de Dampierre la confiance des agriculteurs de Frarice l'avait maintenu, il voulait leur dire, les mains tendues et dans 1,'agitation et la sincérité des. paroles qut viennent du cœur, qu'il partait sans, amer tume et -sans découragemçnt.' . • L'amertume ! Elle s'était bien, souvent présentée sur sa route, à tous les carrefours de sa vie ; il l'avait repoussée de la main, re jetée. Toujours il avait voulu croire et il avait cru. Il ne connaissait pas le goût de cette passion méprisable. : Le découragement ! Avait-il besoin.. de le dire à des amis si anciens ? Jamais il ne s'était...