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Le Figaro, 14 juillet 1906

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Le Figaro
14 juillet 1906


Extrait du journal

II est des heures où la nature clémente nous prodigue ses magnificences et ses charmes, où elle rend plus frais les ombragea de ses, chênes, plus caressant le regard de ses étoiles, où sa brise vient de plus haut, où le bourdonnement de ses abeilles sur la rose est plus passionné, où la vague assoupie s'allonge plus langoureusement; elle étend sur nos agitations la douceur apaisante de ses silences; elle se fait belle pour nous faire oublier combien parfois elle est cruelle. Il est des heures où notre être entier s'abandonne aux ivresses heureuses, où tout en nous rit, chante, palpite, espère, aime. Il en est d'autres où l'âpre douleur nous déchire, nous ensanglante, où nous envions ceux qui n'ont pas été ou ceux qui ne sont plus. Mais toutes ces émotions, si intenses qu'elles soient, ne durent qu'un instant: le temps les pousse, et c'est toujours l'ombre qui passe, la nuée qui s'évapore. La mélancolie du couchant voile l'allégresse de l'aube la tempête de décembre emporte l'espoir de mai les sourires sèchent les larmes et sur les tombes qui s'ouvrent en nous comme sur celles qui se creusent dans la terre renaissent la verdure et les fleurs. Ces instants où nous avons ̃vécu d'une vie plus haute, plus forte, plus douce ou plus cruelle seraient à ja-' mais perdus, envolés, effacés, si l'art n'avait été créé. Il les retient, les fixe, et donne au sentiment fugitif et changeant l'éternité des choses qui ne périssent pas. Elle ne passera pas l'heure'des enchantements de la nature, parce que lapoésie ra.décrite elle ne s'oubliera pas l'heure d'es ivresses intimes, parce que la poésie l'a chantée, elle ne s'effacera pas l'heure des âpres douleurs, parce que lapoésie l'a pleurée. Mais la poésie invente en vain des images ingénieuses ou grandioses, enrichit ses rimes et ses cadences, multiplie ses souplesses et ses reliefs, crée des mots sonores ou pénétrants, pittoresques et enflammés; il naît en nous des sentiments, des pensées, des aspirations, des visions que ni ses images, ni ses rimes, ni ses souplesses, ni ses reliefs, ni ses mots nouveaux ne réussissent à exprimer jl est des dilatations ou des resserrements d'âme, des exaltations de certitude, des désespérances de doute, des désirs insatiables, des tourments inconsolés, des tendresses privées d'épanchement, des rêves d'un vague aérien, des contemplations, des extases, des élans, inconscients, indéfinis, insaisissables et cependant d'une réalité délicieuse ou poignante, pour lesquels elle n'a que des balbutiements inhabiles. Il nous faut une autre langue qui exprime ce que. les langues parlées ou écrites ne savent dire, il nous faut une langue de l'indicible c'est la musique qui nous la donné. Elle n'est pas, comme l'a dit un poète jaloux, la « lune de l'art », elle en est la voix infinie....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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