Extrait du journal
Je connais un vieux monsieur qui a le plus diffi cile des courages, celui d'avouer qu'il n'est pas de ce temps-ci. C'est probablement pourquoi il est sans amertume, sans rancune contre les nouveautés du jour. Il garde ses habitudes, il n'oblige personne à les suivre ; il ne les croit préférables aux modes présentes que pour lui-même et pour quelques survi vants ; il ne réclame qu'une chose : c'est que les jeunes d'aujourd'hui le laissent libre d'agir, de penser à sa guise, et ne rient pas de lui, comme les jeunes d'après-demain riront d'eux. Le plus beau est que, même sur le chapitre des mœurs, il n'est pas trop pessimiste. Il refuse abso lument de croire que tout va de mal en pis, parce qu'il n'a plus qu'un pied ici-bas, et l'autre dans l'impondérable, ainsi, dit-on, que s'exprimait Victor Hugo en ses entretiens familiers. C'est qu'il n'atta che aux heures qui fuient pas plus d'importance qu'elles ne méritent, et qu'il a plutôt accoutumé d'envisager les choses sous leur aspect éternel. Il me disait : • — Si je ne me couvre pas la tête de cendres, et si je ne me trouve aucune éloquence pour fulminer contre les abominations du siècle, c'est que je crois que tous les siècles se valent. Ceci n'est sans doute pas un compliment. Je me persuade toutefois que la somme du bien et celle du mal demeurant à peu près constantes, il y a toujours un petit excédant de bien, faute de quoi le monde finirait. De l'âge actuel, qui ne me paraît pas sensiblement meilleur ni pire que bien d'autres, deux points seulement m'inquiètent. Le premier est cet extraordinaire mé pris que l'on fait de la vie humaine. J'entends « mépris » au sens d'origine, savoir « prix inférieur à la valeur réelle de la marchandise ». La vie humaine est devenue quelque chose comme la pièce d'un sou qui n'a plus aucun pouvoir d'achat. Les moralistes y devraient songer très sérieusement : il est urgent de stabiliser. Avant la guerre, la meilleure garantie que nous eussions contre le meurtre était la répugnance qu'inspiraient aux gens d'un certain milieu, d'une certaine éducation, le geste de tuer et la vue_du jang,.répandu. La pjupjyt^des assassins étaient des professionnels. La criminologie doit comp ter de plus en plus avec les talents d'amateurs. Tartuffe s'accusait D'avoir pris une puce en faisant sa prière Et de l'avoir tuée avec trop de colère. » Quel chauffeur serait si sévère pour lui-même, après avoir écrasé sur la route une oie ou une créa ture humaine ? » Je n'ai pas nommé Tartuffe sans raison : il m'amène à mon second point. Ne vous semble-t-il pas que l'hypocrisie a complètement cessé de rendre à la vertu son hommage, qui est si utile au bon ordre de la société ? Plusieurs s'en félicitent : 3 admire leur naïveté. La franchise règne enfin sur la terre, disent-ils. Oui : elle en a chassé — la pudeur, je n'en sais rien, — mais la tenue. Nos contemporaines et nos contemporains manquent de tenue... Eh bien, je me demande encore si ce n'est pas mon grand âge qui me les fait mal juger. On disait jadis de ceux qui savaient ne point s'afficher : « Ils sauvent la face, ou la façade. » Il se peut bien que ceux d'aujourd'hui sauvent aussi la fa çade , mais c est une façade a laquelle nos yeux ne" sont p/as habitués, en ciment armé, avec des bâlcohs qui ont 1 air de baignoires, des pleins sur des vides, des ouvertures plus larges que hautes et des pergolas à tous les étages. » Abel Hermant, de l'Académie française....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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