Extrait du journal

cruauté dans le cœur; on avait mis de l'eau-de-vie dans leurs esto macs, comme on pique le taureau après avoir fait flotter la rouge banderolle au-devant de ses yeux : ils avaient marché au crime, abrutis et aveugles, comme le bœuf va au sillon. Cependant, l'espoir ne me vint pas de les attendrir, parce qu'ils étaient trop au-dessous de la prière. Il me sembla plutôt que s'ils m'attaquaient, je pourrais me défendre. Les pistolets de mon père étaient sur la cheminée : je mesurai, en moi-même, le bond qu'il me faudrait faire pour les saisir et j'attendis. Le sourire de Blasius et de Hans s'alourdissait et s'ébêtait, pen dant qu'ils me regardaient. Le premier dit enfin dans son mauvais allemand de Slavonie ; * — La fille est belle 1 A quoi, l'autre, un Serbe, répondit : - — Elle a des pendants d'oreilles en or et des bagues : je pense qu'on nous a donné les bijoux avec la femme. Ma première idée fut de me débarrasser des objets qui allumaient leur convoitise et de les leur jeter, mais je me retins : il valait mieux pour moi leur laisser croire que je n'entendais pas l'allemand. Blasius, le moins ivre des deux, se leva sur ses jambes chancelantes et vint à moi. Hans essaya en -vain de le suivre. Blasius saisit le pendant de mon oreille droite et l'arracha d'un coup. A la vue du sang qui jaillit sur ma collerette, il demeura tout interdit et repentant. Hans lui dit : — Apporte-moi l'autre. — C'est la fille d'un comte 1 murmura Blasius. Au lieu d'obéir, il fit un essai maladroit pour me remettre ma bou cle d'oreilles. La souffrance m'arracha un cri. Blasius recula jusqu'à la table, puis, irrité d'avoir eu peur, il brandit une bouteille en s'écriant :...