Extrait du journal
P OUR que nous aimions Dieu, affirme Spinoza, il n'est nullement indispensable qu'il nous aime en retour* On sait que les théologiens' ont rejeté cette idée avec horreur, comme propre à • décourager les croyants, car les': amours sans réciproque ont toujours du'mal à se maintenir. En tout cas, quiconque n'est pas Dieu fait bien de ne pas trop compter sur l'éternelle fidélité des adorations qu'il reçoit sans juger nécessaire d'y répon dre. Confessons-le : la France est parfois tombée dans cette imprudence. Elle. a tendance à se confiner dans l'indifférence du Dieu spinoziste, trouvant tout naturel de voir les-sympathies des peuples aller vers sa culture, et non moins naturel de ne pas dépenser beaucoup de cHaleur à chérir les cultures des autres. Plus d'un Français répondrait que cette indiffé rence, si tant est qu'on la constatât, n'aurait rien que de normal, vu qu'à parler tout à fait franchement, nous possédions une culture assez mûre, assez riche, pour n'avoir pas besoin d'apports étrangers ; tandis que d'au tres peuples, à peine sortis de l'enfance, ne pouvaient se passer de nous. Par malheur, - cette excuse est devenue anachroni que. Elle se trompe de siècle. - Assurément, la reine Christine de Suède ne pouvait s'offusquer que Louis XIV fût un peu moins curieux des choses de Stockholm qu'elle ne l'était des choses de Versailles ou de Rome. Mais il y a beau temps que les enfants d'alors sont adultes et fort jaloux d'être traités comme tels par les vieux oncles d'Occident, c'est-à-dire sur un :pied cù, toutes • proportions gardées, ils ne fassent pas toujours figure d'obligés, où leur sympathie ne soit pas seulement un hommage, mais rencontre un écho. Il est bien vrai qu'un peuple en guerre a d'autres soucis que la politesse. Il a les traits tirés et des gestes impatients. Qu'il écarte de sa pensée tout ce qui ne lui est pas strictement utile, c'est dans l'ordre, et qu'il s'interdisé toute considération sentimentale. Oui, mais, s'il est déterminé à vaincre, il faut qu'il s'astreigne, sans en rien omettre, à tout ce qui est utile : même à cette domi nation des nerfs qui permet la politesse, même à ces égards qui coûtent de l'attention, du soin, mais qui paient. Soyons cyniques et ne nous occupons que de ce qui est payant, mais avec assez d'intelligence pour ne pas croire que pratiquer une méthode sévèrement réa liste, cela consiste à ne pas répondre aux lettres pour faire l'économie d'un timbre-poste, ou à garder un visage' de bois par peur de perdre un sourire. Exemple caractéristique : pour ménager no? devise*, nous .avons à peu près fermé nos frontières à l'introduc tion des livres étrangers. Les hommes qui ont pris cette décision étaient sans doute de ceux qui pensent : « Nous avons assez de bons auteurs. Quel besoin de lire ce qui s'édite à Amsterdam, à Zurich ou à Buenos-Aires ? » Mais ce n'est pas du tout l'avis des Hollandais, de3 Suisses ou des Argentins. Ils estiment leur pensée inté ressante et désirent fort qu'on s'y intéresse. Au reste, ils nous achètent beaucoup plus de livres français qu'ils ne nous en vendent d'imprimés chez eux, de sorte que s'ils usaient de représailles, la perte commerciale serait pour nous. Et que dire de la perte morale ! (Suite page 2, colonnes 2 et 3.)...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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