Extrait du journal
si elle était brune; je ne me souviens pas non plus de la couleur de ses yeux ; elle avait dû être très belle. Sans doute aussi, on avait dû beaucoup l'aimer, car lorsque je lui dis qu elle était belle et que je la désirais... quand même, elle eut un admirable sourire aussi gai que triste, et elle me répondit ces mots ; — Non , je ne suis pas belle, du moins je ne le suis plus, mais on ne perd rien sans acquérir un bien nou veau; si je ne suis plus belle, je vaux mieux pourtant qu’au temps où l'on me le disait tant. Je ne sais point si je compris alors exactement ce qu elle voulait dire, je crois que non. Mais n'avait-elle pas dit qu’elle valait mieux que lorsqu'elle était si belle? Et puis elle avait l'air si bon que je dus avoir confiance! C'est peut-être pourquoi je m’agenouillai près de sa chaise longue et posai des baisers sur ses bras nus, sur ses beaux bras blancs, hors des manches de sa robe blanche. Elle sourit encore à mes baisers d’enfant; elle attira mon front naïf vers ses lèvres.enflammées, et elle baisa longtemps mes cheveux et mon front avant de se laisser aller à baiser mes lèvres. J’eus comme l’impression qu elle n’osait pas, et, je ne sais pourquoi, au moment précis où sa bouche se posa sur ma bouche, dans ses yeux et sur son visage, légèrement, très vive, glissa comme une expression de tristesse ou de souffrance aiguë. A ce moment-là, certes, je ne compris pas, mais il me revient à l’esprit que si son sourire n’avait reparu presque aussitôt, je lui eusse demandé si elle était malade. Autant elle avait mis de timidité, autant elle avait montré de gène pour ce baiser sur ma bouche d’enfant, au tant ensuite elle me parut fougueuse, emportée, irraisonnable, passionnée. Tout de suite, elle reprit ma bouche sous ses lèvres, reprise de possession farouche : ma bouche lui appartenait, j’eus peur qu’elle ne la mangeât. Elle fermait ses yeux, les miens étaient ouverts et je la regardais indis cret. initié; je n’oublieiai jamaislesenti ment d’ineffable joie dont son visage était l’expression ; elle semblait entre voir des choses que je ne voyais point, elle semblait éprouver des sensations dont je n’avais pas le moindre soupçon ; et moi, étonné qu’un baiser procurât tant d émotion, je cherchais à compren dre, mais je n’y compris rien. L:n peu plus tard, ce fut le moment des brutalités, moins savantes que ces premiers baisers à ma bouche; ce fut à mon lourde fermer les yeux; jen'ai qu'un vague souvenir d’avoir été heu reux. Par la suite, et durant des mois, à côté de cette femme dont les premiers cheveux blancs n’avaient pas précoce ment blanchi, dont les premières rides ne s’étaient pas précocement creusées, mon adolescence se patina, se vieillit un peu. se rida légèrement, et quelque fois je regardai dans un miroir pour voir aussi si je n’avais point comme elle, sur les tempes, un peu d’argent dans mes cheveux. Et j'éprouvais comme une navrance de n'en point découvrir. Lorsque nous étions seuls, dans sa chambre, elle aimait à ine parler des gens et des choses. Elle n'avait pas eu d’enfant, elle avait comme une réserve immense de piété maternelle; elle m'ins truisait avec bonté, me dévoilait les motifs de souffrances et les causes de joie; vile insista surtout longuement, elle y revenait sans cesse, pour mettre en moi cette idée bien nette qu'il ne faut pas faire de mal aux femmes, qu'il ne faut pas les faire pleurer. — La femme est bonne, me disait-elle, les femmes sont toutes bonnes tant qu’elles n’ont pas souffert, tant qu'on ne les a pas meurtries. Dis toi bien, ajou tait-elle, qu'une femme méchante, c’est une femme qui a beaucoup souffert et qui se venge. Aime la davantage, sois plus doux, sois meilleur qu’elle, ramène dans son cœur toutes les tendresses qui en sont parties, et pose dans son âme des simplicités et des bontés pareilles à celles innées qui s étaient enfuies. Ne te décourage point si la cure te doit don ner de la peine, tu parviendras à la gué rison. Et puis, même si tu ne réussissais pas complètement ou si elle te quittait, comme les femmes savent, hélas! par fois quitter un amant, ne la maudis point, ne l’insulte point et console-toi en te disant quelle est partie meilleure quand même qu’elle n’était venue. Mon amie me disait aussi d’étranges choses, sur la vie, qui m’eflrayaient un...
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
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