Extrait du journal

Je me rappelle une exposition allemande où le portraitiste François Lenbach avait mis côte à côte le portrait du chancelier de Bismarck et celui du maréchal de Moltke. On ne sépare pas volontiers les noms de ces deux acteurs d'un des plus grands drames de ce siècle, en lesquels se sont personnifiées la force politique et la force armée de la nation la plus hautaine. A bien regarder l'extérieur des hommes, l'observateur a chance de déchiffrer quelque chose du mystère de leur esprit. Jamais, peut-être, cette vérité ne parut plus en évidence. Le chef du grand état-major impérial, sec, froid, maigre, les lèvres minces et serrées, le regard net et fixe, tranchant en toute sa personne, représentait essentiellement le génie du calcul militaire, de cette mathématique de la tuerie en masse et à distance. Au contraire, le chancelier, tête énorme sur des épaules de géant, corps solide, grassement nourri, physionomie mobile, fine et presque avenante, caractérise à merveille le génie négociateur. Le premier fut le sabre dont le second était îe fourreau. Différents et même opposés de tendances et d'idéal, je doute qu'ils BMnt vécu en sympathie. Seulement, ils se complétaient. On retrouvait sur leur front le sceau des mêmes pensées redoutables. Ils ont fait en commun l'oeuvre dont l'avenir sera le juge....