Extrait du journal

Il n'est pas guéri. Il a suffi que son élève et ami le savant prince Kropotkine, anar chiste et géographe, écrivît des rêveries humanitaire pour remettre M. Reclus en goût d'anarchie. A propos de poursuites dirigées contre le prince et qu'on disait dirigées aussi contre lui-même, il écrivit au juge d'ins • truction de Lyon une lettre qui ne manqua pas de fierté. Il nous a donné encore, à propos de ses filles, le spectacle original d'un père qui marie ses enfants sans prêtre ni maire. C'était peu que le père de famille fût prêtre ; il fallait encore qu'il fût magistrat. Cette invention vient sans doute en core de Montauban, et est tirée de quelque bible hérétique, aux versets de Melchi sédech ou autres. Il faut reconnaître pour tant qu'il a déclaré n'avoir pas fait acte d'autorité paternelle en mariant ses filles. Mais c'est qu'il s'efforce d'imiter la bible et Bakounine, il est patriarche en démagogie. D'ailleurs, cette idée de marier soi même ses enfants et de leur délivrer un acte de mariage me paraît plus inprati que qu'immoral et l'on s'est beaucoup trap fâché dans les journaux. M. Reclus renonçait pour ses enfants aux avantages que leur eût donné le mariage civil. Voilà tout. Cela pouvait être gênant, mais non condamnable en soi. Il mettait les con joints dans une situation analogue à celle de chasseurs qui chasseraient sans per mis de chasse et qui ne pourraient, par conséquent, chasser que dans une pro priété close de murs. Mais laissons cela et disons qu'heureu sement ses filles et ses gendres, qui sont parfaitement honorables, ont un peu ré gularisé cela depuis, pour faire comme tout le monde. M. Reclus écrivit à ce propos une lettre violente qui étonne chez un homme dont l'énergie ne se montre d'ordinaire qu'en veloppée de douceur. M. Reclus est aussi doux et humain qu'un fanatique peut l'être. Il ne touche, dit-on, qu'avec répugnance à la nourriture animale, et ne vit guère que de légumes et de lait. Il ne tue pas les insectes. Il met délicatement dans un cor net les mouches importunes et les envoie bourdonner dehors. C'est un homme petit, trapu, qui parle peu et qui a l'air très énergique. J'ai essayé de montrer la fissure qui s'est faite dans son cerveau large et com pact, et qui est devenue une fente énor me ; le trou de la folie. Cette sorte de folie est installée dans un esprit supérieur. Voilà ce que nous croyons la vérité sur cet homme singulier. Libre et désintéressé, nous avons pu parler haut et ferme de M. Elisée Reclus. Mais quel homme aujourd'hui au pouvoir a seulement le droit de le regarder en face? ROBERT ESTIENNE...