Extrait du journal
Tous anémiques La mode ne s'attaque pas seulement à la couleur d'une étoffe, à la forme d'un chapeau, à la coupe d'un corsage, d'un pantalon ou d'un veston. Non seulement elle règne sur les mœurs d'une société, en despote implacable et obéie, mais elle intervient aussi, toujours ligoureuse, dans le choix des maladies. ,11 y a des maladies bien portées et d'autres qu'on ne porte pas. Sous peine de déchoir et de tomber dans la vulgarité bourgeoise, un homme élégant ne peut se permettre certaines maladies ridicules et malpropres, qui tordent ses muscles, zigzaguent son corps de laides grimaces pustuleuses, et mettent autour de lui comme une atmosphère de pharmacie et d'hôpital. Je vous demande un peu la belle figure que nous ferions tous si nous apprenions tout à coup que Mme de X... a poussé l'oubli des convenances jusqu'à se réveiller, un matin, avec un abcès au visage, ou le front, sur lequel frisottent d'adorables cheveux blonds, affreusement couturé de petite vérole. La maladie doit donc avoir un dan dysme particulier, une exquisité spéciale, un raffinement de coquetterie. Et, chez les élégants qu'elle vient visiter, elle n'aura droit d'asile qu'autant qu'elle se présen tera entourée de poésie et de mystère, ou relevée d'une pointe de bizarrerie et d'excentricité. Ce ne serait vraiment pas la peine d'être malade, si l'on était ma lade comme tout le monde. La maladie souvent n'a de prix, comme une toilette ou un bibelot, que par le milieu où elle s'étale, et aussi parce qu'elle n'est pas à la portée de toutes les fortunes et de toutes les conditions sociales. Je causaisj dernièrement, avec un cé lèbre médecin qui, comme tous les grands médecins, est un penseur de premier or dre, et partant un observateur cruel et pessimiste des infirmités et des plaies humaines. Savez-vous, me dit-il, par où nous mourons; par ou la France, qui a été un peuple fort, ayant des muscles d'acier et des poils rudes sur le corps, tombe dans la pourriture physique et le rachitisme moral? Par l'anémie. Aujourd'hui, tous anémiques, même ceux qui ne le sont pas. C'est la mode; c'est un genre parti culier de sport. Un homme qui se pique de tenue, une femme d'élégance, doivent être anémiques, sous peine de ne pas être. Je reçois même ici, dans ce cabinet, de grands gaillards, à face luisante de boucher, qui, d'une voix mourante, avec des gestes d'agonie, me disent : « Doc teur, je suis anémique ! » On dirait, ma parole d'honneur, que la santé est une chose honteuse, dont on doive rougir, comme d'un accroc publiquement donné àla bienséance et aux belles manières. Il faut des pâleurs, des étourdissements subits, des pâmoisons; il faut n'avoir jamais faim, se nourrir de crudités et grignoter avec des moues charmantes et des ennuis étudiés, des miettes de gâteau et des bonbons, surmener sa faiblesse en des fêtes et des plaisirs de tout genre, et la promener triomphante dans l'etouf lement des salons et des théâtres....
À propos
Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.
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