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Le Gaulois, 11 juin 1880

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Le Gaulois
11 juin 1880


Extrait du journal

?. .V • vu. / tirs /' rJ .imv ; belliqueuse,l de'., formidables bras. Per sonne ne dit plus mot, et le chanteur se dandine, un peu renversé en arrière, les mains dans les poches, la casquette écra sée isur la nuque, et il commence, sans accompagnement et sans musique, d'une voix profonde lavée par le trois-six : Salut au héros de Vincennes, , A Daumesnil, au bon Français ! Ces accents héroïques, religieusement écoutés, enthousiasment les buveurs. Quelques-uns, déjà très allumés, frappent le bois du poing, et un autre, complète ment ivre, se lève, se retenant d'une main à la table, dressant l'autre en l'air, et il braille à tue-tête avec le chan teur : De lui que tout Français l'apprenne : Le drapeau ne se rend jamais ! Sa femme se pend après lui et le fait asseoir. Bien, j'ai payé ma tournée : j ai le droit de chanter! crie-t-il. Voyons, mon vieux,soyons ! Eh bien, quoi ! il -n'y a pas de « mon vieux » qui tienne! J'ai-t-y payé, oui, pas vrai? eh bien, alors, je suis le maître. Ah ! et puis tu sais L'homme-orchestre se relève et res souffle dans son biniou la Mandolinata, que vinaigrent plus furieusement les flageolets des hommes aux chapeaux pointus. Il se rassied et, cette fois, deux ouvriers grimpent sur l'estrade. • Comme ils ne peuvent, faute de la place nécessaire pour exécuter les gestes, se tenir en face du public, ils se présentent de profil, bec contre bec, haleinant droit l'un sur l'autre, penchés en avant chacun, prêts à se cogner le front comme les marion nettes de chez Guignol. Ils entament, sans musique toujours, un duo polisson que la foule goûte fort. Des salves d'applaudissements partent redoublés. Toute la cour vocifère des bis. Ils dégoisent alors un nouveau couplet où, par une facile divination de la bêtise humaine, le chansonnier a ajouté aux malheurs d'une belle-mère les infortunes d'une jeune fille qui raconte naïvement sa faute. Le triomphe est retentissant, immense, et ils descendent de l'estrade, accostés par les uns qui leur offrent des ■verres, appelés par les autres qui leur tendent leurs blagues, hélés par ceux-ci qui leur montrent la cuiller pleine de vin de leurs saladiers, agrippés par ceux-là qui ne leur montrent rien du tout, et ils disparaissent du côté des saladiers. Depuis dix minutes déjà, d'étranges bruits me parviennent : dans l'obscurité, j'entrevois de vagues enlacements, je perçois des rires énervés de personnes que l'on pince, des éclats secs de bai sers qui s-échangent ! Je tourne ta fête; el, -àta lueur d'une i allumette qui brûle une pipe, j'entrevois, { au fond de la tonnelle, enunrapide éclair, des couples qui fermentent près de litres ! vides, dominés, comme dans une apo théose, par une grosse mère en cheveux, debout, le corsage entr'ouvert, sur lequel j un mécanicien plaque, en ricanant, une énorme - atte noire. L'allumette s'est éteinte et le bosquet est retombé dans l'ombre. La bière à la quelle je goûte m'épouvante; c'est du chicotin, sur lequel flottent, en guise de mousse, des bulles savonneuses; l'en fant continue à me marteler les tibias, sans trêve; une âcre odeur plane au-des sus delà cour; les éviers du voisinage soufflent, et des fumets plus terribles en core s'échappent de la foule tassée. Une hurlee dé Marseillaise s'élève maintenant. A propos de bottes, ces gens, qui dormaient le nez dans leur verre, éprouvent le besoin de déclarer que la patrie les appelle! Ah! je ne sais si le jour de gloire est arrivé, mais, à coup sûr, la Saint-Lundi, le jour des grandes cuites, est venu! Tout le monde parle, crie à la fois, jabot te, braille, renverse les bou teilles et cogne les verres. Allons, il est temps de partir. Des coups de poing s'é changent a deux tables déjà; le vacarme des bosquets s'est encore accentué. Tor due par le vent, la lanterne a jeté des lueurs inattendues dans la tonnelle, et j'aperçois, au fond, au-dessus des têtes couchées sur la table, la grosse mère, toujours debout et encore lutinée par l'énorme main noire....

À propos

Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.

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