Extrait du journal

IL ne fallait rien moins que l'évasion du maréchal Bazaine de l'île Sainte-Marguerite pour me conduire à Grasse. Sans le procès qui va s'y dérouler, je n'aurais certes jamais songé à visiter cette petite vil)é d'une douzaine de mille âmes, située sur le versant de l'un des contreforts des Atpes et connue tout particulièrement pour sa fabrication d'huiles, de parfums et de confiseries, ce qui fait que les commis voyageurs .en ces sortes de produits sont a peu près! les seuls touristes qu'on y rencontre. Je devrais dire qu'on pourrait y rencontrer ",car en ce moment la ville est déserte, grâce à une tradition qui a pris naissance dans les origines de Grasse. C'est, dit-on, une colonie des juifs de Sicile, et leurs descendants, tout en devenant catholiques, ont gardé certaines coutumes de leur race, celle entre autres d'aller camper' dans le. désert pendant huit jours. Seulement, comme ce n'est plus aujourd'hui par respect pour la loi de Moïse, mais à l'occasion de la fête de la Nativité de la Vierge, au lieu d'aller brûler sur le sable, ils se réfugient dans la campagne, sous les oliviers et les jasmins, campement infiniment préférable à celui de leurs ancêtres. Depuis le 8 de ce mois, maisons et boutiques sont donc fermées; mais le procès dans lequel le colonel Wllette joue le principal rôle va donner à la localité une vie nouvelle. Il n'y a que deux hôtels à Grasse ils ne suffiront pas aux curieux. Heureusement que le Méridional' est hospitalier. à un autre titre que l'Ecossais tout le monde trouvera à se loger. Pour moi la chose n'a pas été difficile je suis arrivé le premier, laissant à Marseille mes confrères du Tern~i! et de la Ga~eMe yf~KKtttt.B, qui ont gravi hier soir seulement "cette horrible côte au bas de laquelle le chemin de fer laisse impitoyablement ses voyageurs. On attend ce soir M" Lachaud, le défenseur du colonel Willette; mais celui qui, entre tous, attend impatiemment l'éminent avocat; c'est son malheureux client, dont l'isolement, est corn-, plet dep.uis son incarcération a Grasse. 11 y a de cela un mois, et le colonel Willette n'a pas encore vu un visage ami. Par bonheur, il a trouvé ici les égards qu'il mérite si bien. M.Tappie, le procureur de la République à Grasse, est un de ces rarissimes républicains qui Savent allier la rigueur de leur devoir au respect des choses respectables, et il n'a pas vu dans le colonel Willette un prévenu ordinaire. Il a compris que c'était là un soldat modèle de fidélité et de dévouement, un officier supérieur appartenant à l'armée française, un brave et loyal serviteur dans toute l'acception du mot, et il l'a traité en conséquence....