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Le Gaulois, 24 août 1889

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Le Gaulois
24 août 1889


Extrait du journal

J'ai pour la terre une passion profonde, la passion qui me faisait, toute fillette, aux Tuileries, gratter les allées avec ma pelle jusqu'à ce qu'à travers la couche de sable, la croûte de poussière, l'épiderme artificiel qui la recouvrait, j'eusse rencon tré la chair même du sol. Alors que les autres bourraient leurs seaux d'un gravier blanc et lisse comme des dragées de baptême, je passais des heures et des heures à faire filtrer les grains noirs du terreau entre mes petits doigts égrenant ainsi, sans m'en dou ter, l'invisible chapelet de la nature, bal butiant le rosaire mystérieux d'actions de grâces, pour tout ce que cette terre con tient de germes, pour tout ce qu'elle fait éclore et mûrir sous le firmament bleu. Evidemment, je ne m'en disais pas si long, alors ; mais que de temps j'ai passé, penchée sur le trou creusé, à regarder courir les minuscules insectes, à aspirer ] la senteur forte que le sol dégage, sou cieuse des pierres sur lesquelles mon ou - til s'ébréchait, émerveillée du brin de gazon fin et subtil qui se dressait, souter rainement, comme un cheveu vert ! Je me rappelle mes désespoirs en temps de sécheresse, les innombrables timbales d'eau que j'allais puiser au diable, très loin, dans le bassin voisin de l'Orangerie, pour les rapporter à deux mains, les lè vres serrées, le front barré d'une ride d'attention, jusque près du Parterre ; les devants de robe gâtés, les gronderies de ma bonne, et les menaces terribles du gardien, un médaillé manchot, dont les yeux riaient tandis qu'il mâchonnait des mots terribles, dans sa grosse moustache grise, à l'adresse des demoiselles qui s'é cartaient trop de leur maman. Tu finiras sur l'échafaud ! me disait régulièrement Duranty, qui tenait alors pauvre génie méconnu ! le guignol du jardin. Je m'en moquais bien! «Ma» terre n'avait plus soif, «ma » terre avait bu ! Et je ne rougissais môme pas quand, à la fin de la journée, le visage barbouillé de terreau, les mains et les genoux tout noirs, le tablier trempé et maculé, je re cevais la « secouée » finale. Petite horreur!... Est-ce qu'on se inet dans un état pareil J glapissait le chœur des bonnes. Et les jeunes personnes de familles cos sues, qui venaient prendre l'air, assises Bur une chaise, avec des chaussettes de Soie, un chapeau à plumes et une crino- ; fine qui, sur leurs jambes de quatre ans, ! avait l'air d'une cage à serins, se détour naient de moi avec dégoût. L'échafaud, je te dis ! répétait rail leusement Duranty, alors que nous re passions devant son théâtre, en remon tant vers la maison. Je lui disais bonsoir en riant, et en me i geçouant comme un chien mouillé. La guillotine, ma bonne, le gardien, et les petites pimbêches, tout cela ne pesait i guère à côté de cette idée que la terre ne souffrait plus, qu'elle était contente, qu'elle allait bien dormir! | rv: *** ,...

À propos

Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.

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