Extrait du journal
• Sous le gonflement de ses trois voiles blanches, femplies de clair de lune, le côtre s'incline par tribord et file doucement dans la nuit :sa proue entre dans le flot comme un soc de charrue, et l'eau soyeuse qu'elle fend s'écarte et se recourbe, -ainsi qu'un riche taffetas lamé d'argent, qui se déchire en bruissant. Autour du gouvernail, c'est une moire qu'on secoue, et le sillage se dé ploie derrière nous. La brise molle souffle à peine. Les dernières stries du couchant, bien que le soleil ait disparu depuis trois heures, teintent le bas du ciel d'une bande encore brunâtre, et la lune, déjà haute et blanche, s'enlève vers le sud. ■Un commencement de sommeil engourdit dans les vapeurs la côte qui s'estompe et diminue. La mer est calme, lourde, écrasée par la chaleur du .jour qui fut. . Personne ne parle et nulbruitne vibre surnous, si ce n'est l'infini déchirement de soie que fait la barque en divisant les eaux. On va. La lune, maintenant plus haute,plaque à notre gauche des losanges de lumière, pareils à des débris de mi .roir que ballotte le roulis des vagues ; les mor ceaux du miroir, plus loin, sont tout petits, et jusqu'à l'horizon, une poussière de verre brisé frissonne en sautillant. Quelle main a cassé ce miroir gigantesque? Si les glaces qu'on brise annoncent des malheurs et des deuils, de com bien de trépas est-ce là le présage ? Les éclats du miroir dansent fantastiquement sur les ténèbres de la mer, avec la cruelle gaieté d'une danse ma cabre. , « Vous mourrez, vous mourrez, mes petits ! Bientôt vous serez morts, tout à l'heure* dans quelques jours, et nous danserons pour d'autres, qui nous admireront à votre place, et nous sau tillerons dans la nuit pour leur prophétiser la .fin ! Car vous passez, et nous revenons ! » Hypnotisés par le miroitement, mes yeux ne voient plus. Mais ils voient au delà. Ils regardent dans l'autre monde. Les millions d'éclats qui scintillent deviennent autant d'âmes défuntes : il y en a que j'ai connues, et je les reconnais : elles viennent à moi, elles accourent, nageant vers la barque, et tentent d'en escalader les bords : •je leur parle et je les nomme. Les plus proches ont tenu dans ma vie une place qui fut grande, et ma vie continue sans eux, maintenant; ma vie est aussi pleine qu'au temps où je les avais près de moi, et pourtant ils n'y sont plus ; elle s'est remplie d'autres choses, d'autres gens ; elle est autre et voilà tout. Ainsi nous subissons la lor universelle, et notre esprit, que nous y consen tions ou non, ne se comporte pas autrement Su'une lande, où les herbes d'une saison succè ent aux plantes de la saison passée et où la vie continue par-dessus la mort, qui est le mouve ment de la vie....
À propos
Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.
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