Extrait du journal
« La nuit s'approche, les tamarins fer » ment leurs feuilles ; il est temps de dî~ » lier : les ombres des bananiers sont à » nos pieds. » Ainsi parle Virginie, la douce héroïne créole de Bernardin de Saint-Pierre, cette fille de l'île Maurice morte pour n'avoir point voulu livrer son corps de vierge aux flots en fureur. L'idylle chrétienne du grand écrivain havrais me revenait à l'esprit ces jours derniers lorsque je lisais le récit de l'é pouvantable désastre qui vient de frapper la plus riante de nos colonies. La Marti nique et sa sœur, la Guadeloupe, sont françaises dès leur naissance; malgré l'apathie inhérente à la nature créole deux beaux yeux noirs à demi-clos se ba lançant datis un hamac ces enfants perdus au milieu de l'Atlantique ont sou vent donné des preuves éclatantes de leur attachement au drapeau. Dans nos guerres maritimes, l'Angle terre a plusieurs fois envahi la Martini que comme la Guadeloupe; elle n'en a triomphé qu'après une résistance désespé rée ; lorsque le canon commença à tonner, les créoles armaient des corsaires et har celaient l'Anglais sans lui laisser une heure de répit. Quand survinrent les grandes commotions révolutionnaires, aux Çent-Jours comme après Waterloo, l'An gleterre s'empara des colonies ; mais elle se trouva en présence d'une telle hostilité qu'elle fut obligée de lâcher sa proie. La Martinique, celle que les créoles eux-mêmes appellent la perle des An tilles, a été dévorée par un efroyable incendie ; sous ces climats torrides, le feu est l'ennemi implacable, et sa sinistre besogne lui devient facile. Des centaines de maisons sont en ruines; des quartiers tout entiers ne forment qu'un mouceau de décombres. D'in nombrables familles sont campées, sans ressources, sans vêtements, sans pain,, cherchant, au milieu des tisons ardents, les loques que l'incendie a bien vonlu leur laisser. C'est la misère épouvantable de toute une population, française depuis qu'elle est au monde, contribuant par Son com merce, son industrie, ses productions spéciales, à la prospérité du pays; colonie souriante, qui ne demande ni force mili taire, ni dépenses d'aucune nature pour nous rester fidèle: cette population meurt de faim, et, perdue au milieu de l'Océan, se tourne vers nous, tend ses mains .sup pliantes, et se réclame de la patrie fran çaise. Les choses qui se passent si loin n'é meuvent pas aisément le boulevard; il faut bien l'avouer, nous avons accueilli 'Cette nouvelle avec l'égoïsme tranquille qui est la note parfois dominante de notre terrible et bien-aimé Paris.. Capable de tous les élans, de toutes les grandes choses, des dévouements les plus extraordinaires et des. charités les plus magnifiques, Paris a besoin qu'on lui fasse toucher du doigt certaines calami tés ; il faut gu'on le secoue de sa torpeur, que l'on arrête un instant sa vie fiévreuse pour lui dire : Halte-là î On a besoin de toi et tu n'as plus le droit de te dérober ! Il ouvre ses mains et il donne. Il donne sans compter, dût-il, après avoir réparé la catastrophe dans une large mesure, se rattraper par un mot, comme celui qui tut fait après Ischia, la ville boule versée : Tremblement de terre, catastrophe qui commence par une convulsion pour finir par une tombola t Nous avons secouru Szegedin ; nous avons fait des merveilles pour Murcie ; nous avons tendu la main à Anvers ! Est-il donc nécessaire d'être Hongrois ou Flamand, Argentin ou Patagon pour avoir droit à notre pitié ? Le bon sens se refuse à l'admettre ; nous nous devons à nous-mêmes de faire jus tice de ce paradoxetrop répandu, qui veut que nous ne soyons secourables qu'aux étrangers. Il faut que, cette fois, ce qui sera organisé pour nos compatriotes sans asile et sans pain dépasse de cent cou dées tout ce qui a été fait jusqu'à présent; il faut que tout le monde contribue, soit de ses peines, soit de ses deniers, à venir en aide aux isolés de la Martinique, à ceux qui, à des milliers de lieues, tournent vers leur pays des regards suppliants et implorent la mère-patrie. Mien ne sera trop beau pour attirer la foule, et si le mobile patriotique ne suffit pas, il faut multiplier les attractions, in venter des surprises, piquer la curiosité ou faire appel au plaisir. Tout en se hâ tant, parce que la ruine ne peut attendre, il faut faire grand, tellement grand, que nous puissions dire que, bien que géné reux vis-à-vis du malheur, à quelque na tionalité qu'il appartienne, avant tout, pour nous, la patrie française ...
À propos
Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.
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