Extrait du journal
PARIS. U DECEMBRE. Certes, et on le comprendra, il ne s’est pas glissé le moindre sentiment de crainte pour nos institutions dans les paroles que nous a inspirées la comédie de fidélité qui se joue à Londres. Des insti tutions qui seraient ébranlées par de telles secousses ne mérite raient ni un effort ni un regret. Un jeune prince, jeté enfant hors de France, étranger à nos affaires et à nos luttes, et soutenu, pres que protégé par un vieillard dont le tombeau est déjà prêt depuis cinq ans, n’est pas un épouvantail aux yeux d’un gouvernement qui offre déjà près de quatorze années de paix et de prospérité, pour sa laire des peines qu’il a coûtées à ses fondateurs. D’ailleurs, les hom mes qui ont pris des passeports pour Londres, comme on en prend pour Bade ou pour le Mont-d’Or, accompagnés de leurs jeunes enfans et de leurs femmes, ne sont pas de ceux qui déplacent les couronnes. Ils ont laissé partir le prince, comme leurs pères avaient laissé partir les enfans de France à la première révolution ; et ce ne sont pas eux qui le ramèneront. Donc, nous ne sommes mus par aucun sentiment de crainte ; les secrets de la Providence ne nous sont pas plus dévoilés qu’aux au tres:, mais, en présence des faits accomplis depuis quatorze ans, avec le chemin qu’ont fait nos mœurs constitutionnelles, avec le déve loppement qu’ont pris les classes bourgeoises, sorties par le travail et par l’intelligence des classes populaires; avec l’éloignement dans lequel le parti légitimiste s’est tenu des affaires, et la pénurie ex trême d’hommes capables par laquelle il se fait actuellement remar quer, il n’v a que les illusions d’une véritable idolâtrie qui puissent nourrir des espérances en faveur d’une restauration. Attendre en ce moment M. le duc de Bordeaux, c’est se confondre avec ceux qui attendirent pendant près d’un siècle Néron à Rome, dom Sébastien en Portugal et l’empereur Baudoin en Flandre. Mais, ce qui nous choque et ce qui nous indigne , c’est qu’il soit permis à qui que ce soit de braver le pays tout entier dans son gou vernement ; c’est qu’il se trouve des hommes pour se moquer ou trageusement des lois établies , lesquelles pourtant sont la sauve garde de la France; c’est que le roi , les chambres , tous les pou voirs politiques, soientjl clairement , en plein jour et impuné ment, foulés aux pieds par des citoyens. Soyez fidèles , vous qui avez nourri des convictions ; soyez reconnaissans , vous qui avez reçu des bienfaits ; soyez empressés et dévoués , vous qui avez été accueillis dans la famille des princes : tout cela est irrépro chable et honorable ; mais ne soyez pas factieux ! ayez quelque respect pour ces lois qui vous protègent à l’égal de tout le monde ; ayez quelque gratitude pour ce régime qui vous a laissé toutes les carrières ouvertes, et qui ne vous a pas même refusé la liberté de l’outrager 1 ces lois et ce régime vous mettent, depuis près de 14 ans, à l’abri des théories républicaines, sous le poids desquelles ce que la révolution a laissé de vous serait écrasé ; n’ébranlez pas les colon nes du temple , comme le juge d’Israël aveuglé par le délire de ses passions. D’ailleurs, le gouvernement ne pourrait pas déserter le poste que le pays lui a conüé. Les institutions sont placées sous sa garde; s’il les laissait mettre en péril matériel par la guerre civile, ou en péril moral par l’outrage, le pays lui demanderait compte de sa pu sillanimité. Et puis, de quel droit le gouvernement réprimerait-il la conspiration à pied, s’il tolérait la conspiration en chaise de poste; et comment pourrait-il faire croire à son équité en frap pant les petits, s’il fermait les yeux sur la révolte des grands? Nous vivons en un pays de tolérance, et nous en remercions Dieu ; mais nous ne saurions être un pays de faiblesse et de peur....
À propos
Le Globe était un quotidien guizotiste dirigé par Adolphe Granier de Cassagnac, partisan d’une monarchie tempérée par une Constitution et deux chambres. Journal politique défenseur de la Monarchie de Juillet et du suffrage censitaire, il fut publié de 1837 jusqu’à 1845. Cette tribune politique orléaniste sombra peu avant la chute de Guizot, trois ans avant la Révolution de 1848 et la fin de la Monarchie en France.
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