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Le Globe, 8 août 1880

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Le Globe
8 août 1880


Extrait du journal

Notre guide-cordonnier nous intéresse par sa franchise et sa bonhomie ; nous lui demandons de nous accompagner. Il re fuse loyalement parce que son tour n’est pas arrivé. Nous nous inclinons devant le règlement, mais je le regrette, car ce brave homme avait tout à fait mon estime... et mon pied, et je méditais lâchement, je l’avoue, de le faire marcher dans mes souliers neufs. Le temps est toujours sombre ; on ne peut songer aujourd'hui à aucune vue pa noramique ou paronamique, comme on nous disait à Aix. Restent avoir ces ma gnifiques « laves de glace » qui coulent de la montagne jusque dans la vallée. La Mer (le glace, qui s’offre à toute excursion classique et banale, a bien perdu de sa splendeur ; elle est devenue sale, elle a reculé de plus de 750 mètres en dix ans, la grotte d’où s’échappait l’Arveiron a disparu. Aussi choisissons-nous le glacier des Bossons, qui n’a reculé que d’un peu plus de 600 mètres et qui a l’honneur d’être enfanté directement par le MontBlanc. Nous voudrions le remonter jus qu’à l’endroit où il forme cascade et où ses reilets "restent purs, car il devient boueux à mesure qu’il descend. Ainsi délibéré, nous nous confions au guide qui nous est dévolu par le sort : un grand blond, avec un chapeau gris cras seux, transpirant et parlant avec solen nité, et n’employant dans son langage que des expressions choisies. La montée a lieu d’abord sous une fo ret de sapins et de mélèzes qui a grandi sur l’ancienne moraine, on passe des tor rents, on admire des cascades, puis on sort des sapins et l’on gravit péniblement pendant plus d’une heure une forte pente, très sauvage, toute couverte de rhodo dendrons dont une grande partie est en fleurs. Nous arrivons enfin assez fatigués au chalet de Pierre pointue. Nous sommes à 2,049 mètres au-dessus de la mer (qui est un peu loin en ce mo ment), c’est-à-dire à mille mètres audessus de Chamonix ; mais la vue de la vallée nous intéresse médiocrement ; nous nous trouvons face à face avec le glacier. Nous voyons ses feuillets énormes, ver dâtres ou bleuâtres, qui semblent des glaçons d’embâcle et qui, comprimés dans leur descente insensible, font éruption sous forme de séracs, c’est-à-dire de blocs saillants, d’aiguilles, d’obélisques, de roches do sombre cristal suspendues en dehors de tout équilibre et s’écroulant parfois dans les crevasses avec un bruit de canon. Je viens de dire que la descente des glaces est insensible. On a constaté pour tant, au moyen de repères, qu’elle est, dans le bas du glacier, de 27 à 28 mètres par an, mais la vitesse varie suivant l’al titude et la saison. Les cadavres des gui des qui disparurent, au « grand plateau » en 1820, furent retrouvés en 1861 à la base du glacier des Bossons : ils avaient mis quarante et un ans pour faire un trajet d’environ 3,000 mètres. Ils étaient d’ail leurs encore reconnaissables et un auteur ajoute pieusement que leurs cheveux pu rent être rendus aux familles. * * * Quoiqu'on soit bien près du glacier, on en est encore séparé par une véritable gorge, de l’autre côté de laquelle se re lève le bourrelet de la moraine, couronné de mélèzes et surmonté par les glaces qui se redressent verticalement à 25 ou 30 mètres de hauteur. Ce n’est qu’un peu plus haut, à Pierre-à-l’échelle (on y abri tait autrefois l’échelle pour passer les crevasses), qu’on entre en communauté avec le glacier et qu'on quitte la terre ferme pour deux ou trois jours si l’on veut aller au Mont-Blanc. Justement, nous assistons, avec le plus vif intérêt, au départ de plusieurs ascen sionnistes. Il y a d’abord un jeune anglais, que nous avons vu monter à dos de mulet jus qu’à Pierre pointue, et qui, tout de neuf équipé, essaye sa belle pique ferrée comme un spadassin ferait ployer sa bonne lame de Tolède. II y a ensuite un américain filasse, avec un chapeau de paille à ccharpe blanche. Mais ce n’est pas tout. L’américain a un compagnon qui s’éloigne déjà en sui vant le petit sentier bordé d’un précipice qui monte à Pierrc-à-Véchelle. Celui-là, bien qu’au début du grand voyage paraît marcher péniblement ; il s’appuie au bras de son guide. On nous raconte alors qu’il n’a qu’une jambe et une portion de pied. Victime d’une collision en chemin do fer, il a eu la cuisse droite amputée et le pied gauche mutilé. Pourtant sa soif d'accidents n est pas encore satisfaite et il a juré de monter au Mont-Blanc ; ses béquilles sont ferrées à glace ; les guides se prêtent à sa folie et ont résolu de le mener jusqu’au bout, dussent-ils l’y traîner dans une peau de "mouton qu’on emporte tout exprès dans ce but. — Mais alors, si un boiteux peut mon ter au Mont-Blanc, c’est donc facile ! nous écrions-nous ; et nous nous sentons mordus par l’envie, humiliés de ne pas tenter l’ascension. — Détrompez-vous, nous dit-on ce pendant, il y a des dangers sérieux. Rien eue ce sentier oui mène en Quarante-...

À propos

Fondé par Adolphe Coste en 1871, Le Globe était un journal républicain qui se donnait pour mission d’« instruire son lectorat », et de lui apprendre à tirer le meilleur de la nouvelle situation politique en France après l’Empire – souvent d’un point de vue économique. Ce journal ouvertement cynique sera publié jusqu'en 1938.

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