Extrait du journal

MORT AUX MORTS Depuis quelques jours, on essaie de persuader au gouvernement et au public -qu'il importe de ne pas laisser la collection Rodolphe Kann partir pour l'Amérique. On affirme que l'honneur de la ^France serait gravement atteint si un Éâiilliardaire de New- York achetait ces Stembrandts. On demande une douzaine de millions pour conserver à Paris ces richesses d'art. On flétrit encore une tais le ministre qui refusa de décorer Richard Wallace il paraît qu'en échange de la croix ce Richard aurait donné à notre pays le musée dont s'enorgueillit la ville de Londres. Certes, celui qui ne voulut pas payer d'un ruban. rouge tant de tableaux et d'objets précieux n'avait pas le sens commercial. Ses scrupules nous paraissent excessifs aujourd'hui il est entendu, en effet, qu'il suffit de remettre à l'Etat quelques toiles anciennes pour être admis dans la Légion d'honneur, Mais, naguère, Tama^ teur n'occupait pas dans notre société la place qu'il a prise aujourd'hui. Dès qu'un de nos contemporains a réalisé une belle fortune, il lui est facile de passer pour un homme dégoût. C'est un titre qu'y n'acquerra pas à Itome, mais à l'hôtel des ventes ce n'est point le pape, mais les marchands de curiosités qui le lui conféreront. Pour l'obtenir, il lui sufflt de consacrer quelques centaines de mille francs à l'achat de vieux panneaux de bois, de statuettes vermoulues, de poteries ébréchées. Bientôt les brocanteurs, qui le trompent, le salueront avec respect. Pour flatter son orgueil et endormir sa méfiance, ils s'empressent de vanter son flair. Ils affirment que leur dupe est un. fin connaisseur. Le bruit s'en répand, et l'heureux homme n'est'point le dernier à croire à sa réputation, qui s'est miraculeusement établie. Déjà il examine avec autorité les Objets qui lui sont présentés. Il a foi en son infaillibilité, et le gouvernement commence à considérer aveè respect ce parvenu qui pourrait bien, un jour, léguer à nos musées un ivoire douteux ou /quelque faïence apocryphe....