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Le Matin, 13 mai 1901

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Le Matin
13 mai 1901


Extrait du journal

Il était difficile de se tirer delà. SaintCère n'était-il pas la victime de calomnies acharnées, lancées par la jalousie? C'était fort possible, et la jalousie va souvent loin. Mais comment s'éclairer? Salon prohibé, vous disait le ministèrel. Sa.lon recommandé, vous disait le mi-nistre Il restait, pour résoudre le prohlème, à juger de l'homme par soimême. Mais l'homme, précisément, n'était pas,de ceux qui, rien qu'en se montrant, font évanouir toutes les défiances et tomber tous les préjugées. Avec sa corpulence, son œil à la fois voilé et éveillé, sous son lorgnon qui le voilait encore, et sa figure d'un type hébreu marqué, il vous donnait surtout l'impression d'un gros homme fin. Il avait la carrure de l'importance et le masque de la malice, peu de bonho-. mie, le menton du dédain, et déployait cependant beaucoup de zèle, dès.qu'on n'était pas ..son ennemi, pour ne, pas' vous laisser indifférent. Quand elles n'étaient pas mauvaises, les relations, avec lui, devaient tout de suite devenir excellentes, et sans interruption, sans relâche, à toute heure., Il avait une éordialité qui avait l'air de vous surveiller. C'était peut-être là, d'ailleurs, un effet fort explicable de l'état de lutte aiguë et continue où il vivait, et qui pouvait même encore, chez lui, se doubler d'un effet de race. Il n'en paraissait pas moins, malgré tout, tenir avec un. peu trop de soin à ne jamais vous perdre de vue. Très intelligent,quant au reste,et d'une intelligence très informée. Ses articles, qu'il multipliait beaucoup, dans toutes sortes de genres et toutes sortes de journaux, étaient d'un journaliste possédant à fond son métier, remarquablement actif, et doué de tous les flairs, depuis le flair musical jusqu'au flair diplomatique. Certains lecteurs, seulement, dressaient les poings d'indignation à ses notes sur la politique extérieure, et déclaraient y apercevoir des noirceurs cachées. Il ne causait pasbrillamment,mais en homme très suffisammentavertidetout ce quirelevait d'un art, d'une littérature, d'une philosophie ou d'un système social à la mode. Là encore, seulement il y avait toujours un « seulement » il laissait entrevoir, en dehors de ses articles, des opinions bizarrement subversives. On était au plus fort des attentats anarchistes, des bombes des « propag andistes par le fait », et il ne fallait pas l'en faire causer longuement pour s'apercevoir que, fort platoniquement, mais de façon assez résolue, il était de coeur avec eux. Il vous disait fort bien, en baissant un peu la voix, et tout en montant dans sa victoria, tout en s'étalant sur ses coussins...

À propos

Lancé en 1883 sur le modèle du quotidien britannique le Morning News, Le Matin se revendiquait être un journal novateur, « à l’américaine ». Son directeur Alfred Edwards entendait donner « priorité à la nouvelle sur l’éditorial, à l’écho sur la chronique, au reportage sur le commentaire ».

 
 
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