Extrait du journal

Cela fait une étrange impression, de revoir l'Alsace pour la première fois depuis la guerre. Partout les uniformes allemands partout les monuments élevés par le nouveau maître. Bon nombre des enfants ne savent plus un mot de la langue du pays aux destinées duquel l'Alsace a si longtemps associé les siennes. Je ne m'étais pas arrêté dans cette région depuis le temps où, bien jeune encore, j'y étais venu comme journaliste chargé du compte rendu des opérations de guerre. Héla,s nous croyions tous, alors, avoir à suivre nos armées en Allemagne Je revois encore ma dernière soirée à Strasbourg, les groupes qui passaient en chantant la Marseillaise. Aujourd'hui, Strasbourg afait une toilette neuve. Elle n'existe plus, la cité aux vieilles maisons sculptées, aux pignons en escaliers, aux cheminées couronnées de nids de cigognes en forme de tùrban ou, tout au moins, c'est à peine si'on en retrouve quelques, débris, au milieu des échantillons du style berlinois le plus récent qui encombrent les rues. Il est vrai que l'antique cathédrale de grès rouge pique encore en plein ciel sa flèche colossale mais,les figures de pierre qui la peuplent ne doivent plus reconnaître la ville étendue à leurs pieds. C'est un endroit ravissant, que ce champ de bataille de .vYœrth et son aspect jure singulièrement avec les souvenirs tragiques qu'il rappelle. il est situé dans la région qui forme la transition entre les Vosges (ou tout au moins cette suite des Vosges qui prolonge la chaîne jusqu'au Palatinat bavarois) et la grande plaine alsacienne qui s'étend jusqu'au- Rhin. Les montagnes, toutes noires de forêts, l'entourent en partie de leurs majestueux et vaporeux profils. Au sud-est, l'horizon de'la plaine s'en va à perte de vue,. assombri par la vaste forêt de Haguenau; au milieu, une jolie rivière traverse une""zone de prairies d'une fraîcheur éblouissante. Aux deux bords de l'eau,qui s'est creusé un fossé sinueux et profond, les liserons, les ronces, les clématites jettent une épaisse housse de verdure et de fleurs, au-dessus de laquelle se dressent les panaches des roseaux et les parasols des ombellifères. De loin en loin, quelque gros bâtiment de physionomie caractéristique, avec sa roue que l'eau met en mouvement, fournit un motif de paysage qu'un maître hollandais n'eût pas dédaigné De chaque côté, s'élèvent deux lignes de hauteurs, en partie couvertes dë bois de chênes, de hêtres et de pin^qui" découpent sur les cultures les contours de leurs épaisses feuillées. A la lisière d'un de ces bois, nous nous sommes trouvé nez à nez avec deux chevreuils. Les campagnes d'Alsace sont d'une fraîcheur extraordinaire l'eau qui baigne le sous-sol y entretient une verdure d'une étonnante intensité. Toutes sortes de cultures pittoresques s'y mêlent aux profonds herbages les vignes, les champs de lin ou de chanvre, les maïs dressant leurs plumets légers les houblonnières, avec leurs thyrses de sept et huit mètres, coquettement enguirlandés., Partout des arbres fruitiers merisiers, noyers, pommiers et poiriers .dont les branches ploient sous leur fardeau. Rien de joli comme la physionomie des villages alsaciens, avec leur aspect si spécial leurs maisons aux poutres apparentes, formant de curieux dessins sur les murs; leurs hangars de charpentes curieusement découpées leur énorme toit rouge, avec un pan rabattu sur l'angle du pignon, et leurs auvents de tuiles abritant chaque étagé. Ils ont un air de bonhomie et d'aisance tout à fait frappant. Un pied de vigne égayé la plupart des maisons de sa parure de pampres. Des dahlias et des roses trémières, plantés au pied du mur, semblent chercher à le rejoindre; des pots de géraniums fleurissent le cadre. Souvent les maisons sont éparses au milieu de jardins et de vergers....