Extrait du journal

LE TOMBEAU DE MISTRAL A MAILLANE Frédéric Mistral est mort hier dans son mas de Maillane, où il a eu la sagesse d'abriter loute sa vie, son libre eï joyeux travail, son bonheur domestique, sa gloire, et où l'admiration du monde amenait tant de pèlerins. Le, grand vieil arbre majestueux et frémissant s'est abattu sirr cette terre dont il symbolisait superbement la beauté et la force. Pour- nos esprits en deuil il semble qu'aujourd'hui il y ait là-bas moins de lumière, de vibrations, de parfums. La Provence pleure son chantre illustre qui, ayant si bien évoqué l'âme de ce pays, était une incarnation de sa grâce harmonieuse et féconde.. C'est comme un roi, librement élu pour son génie, qu'un vaste peuple vient de perdre. C'était en juin 1909, à Arles, sur la place des Hommes, le jour où, en présence de. Mistral, la Provence se fêtait elle-mëme en inaugurant la statue de l'illustre poète dont l'âme s'identifiait si étroitement à la sienne. Dix mille personnes, s'entassaient sous les platanes de l'exigu forum et dix mille autres, peut-être, non moins insensibles à la rumeur du vrai mistral, le crispant, le tumultueux, qui de toute sa rage participait, à la fête; se pressaient dans les ruelles d'alentour. Assis auprès de Mistral, je guettais l'expression de sa physionomie à la seconde où sa statue surgirait de son voile abattu. Confrontation délicate Rude épreuve Avec tout autre que Mistral, prophète glorieux au milieu de son peuple. on aurait pu craindre un peu de ridicule. Pour lui sa grandeur si simple rassurait. Mais tout de même comment accueillerail.-il la soudaine apparition de son image au-dessus de la foule et cette vision de luimême dressé en bronze pour les générations futures ? Je le regarde. Le voile tombe. Le visage de Mistral, si fln, si facilement creusé de petites rides mobiles qui lui donnent tant d'expression, se plisse malicieusement. Et, se voyant en marche, le manteau sur le bras, la canne à la main, le poète murmure avec une ironique bonne humeur Té tl ne me manque plus que ma valise !» Voulait-il faire allusion au grand départ définitif auquel ce bronze anticipé le faisait réfléchir, ou voulait-il simplement sourire un peu de se voir ainsi immobilisé, dans sa démarche et sa tenue habituelles, sur cette place que si souvent il traversait de la même allure pour venir :'asseoir à quelque café ?...