Extrait du journal

E plus ancien paysan de Savoie, celui de là-haut, qui marche sur les quatre* vingt-cinq ans, ce qui ne Je prive ni de porter un fagot ni de boire un bon coup, a déclaré n'avoir jamais vu ça. Un autre moins intact- quoique moins âgé, qui a vu ses fils partir le 2 août 1914 et ses petits-fils le 2 septembre 1939, n'a pas craint d'affirmer que c'était la faute d'Hitler. Comme si les tyrans de la terre avaient la faculté de déchaîner les éléments ! L'été avait été particulièrement mauvais. On attendait l'automne. L'automne garde le pouvoir de faire mûrir les fruits. Et l'automne fut pire encore. Septembre améliore le vin. Septembre n'a rien amélioré ! Mon fermier inquiet, essayait de plaisanter : ■ — Ça donnera du vin de trois. — Du vin de trois ? ai-je demandé. — Eh I oui : un pour le boire et deux pour tenir celui qui boit. Je ne connaissais pas cette expression-là. Mais j'en connaissais une autre, sut ce vin trop acide des mauvaises récoltes : à vous faire retourner les doigts de pieds dans les chaussures. Le raisin n'en finissait plus de mûrir. A la fin d'octobre, on se décida : —-Il faut bien le prendre. D'ailleurs, il est plus mûr qu'on avait cru. Le vent chaud qui a soufflé deux ou trois jours lui a fouetté le sang. Donc, on avait décidé le jour des vendanges. Et voilà que ce jour-.là est venue la tempête; avec des tourmentes de neige à ne pouvoir marcher là-contre. Il en est tombé tout le jour, et toute la nuit, et tout le jour encore. Plus de champs, plus de prés, plus de vignes : Tien qu'une immense pelouse blanche. Je voulais cueillir deux ou trois roses qui, sur le tard, avaient fleuri dans l'allée du jardin; impossible de les découvrir. Le grand peuplier givré semblait un prodigieux geyser des pays du Nord, avec l'essor de ses branches. Cependant, le baromètre montait. J'ai dit à mon fermier : — Demain, il fera beau. .—.Ah.! malheur! me répondit-il. —!- Pourquoi malheur ? Parce que s'il fait clair cette nuit, il va geler pour sûr. Et ça n'arrangera pas le raisin. Quand je me suis couché, assez tard, j'ai ouvert ma fenêtre. Le ciel était...