Extrait du journal
supputant dans sa petite cervelle la grandeur du fort qu’on lui apportera, et le nombre des fantassins et celui des cavaliers... Sur ces entrefaites, la parente en question, qui ne savait rien de cette promesse faite par un autre, avait acheté un fort, qui était d’une belle gran deur, l'avait déposé dans le salon sans prévenir personne et s’était cachée dans un rideau pour jouir de la surprise de Jean. Il est très vrai que le premier mouve ment fut de joie. Mais la bonne lui ayant dit : « Il faudra avertir Bon-Ami que vous avez un fort, pour qu’il vous donne autre chose. Etes-vous content d’avoir un fort ? » Jean hésita un instant, puis regardant le jouet en connaisseur : — Oui, dit-il, mais celui de BonAmi aurait été plus beau? Il n’a guère plus de sept ans, et déjà il calcule le prix d’un cadeau qu’on lui lait ; si on lui apportait un bibelot de la boutique à treize où à vingt-cinq, il le regarderait à peine. On ne tirerait pas de lui un remerciement. Et notez que j’ai horreur do toutes ces machines-là ; qu’il me prend parfois des envies de briser ces joujoux et d’en jeter les morceaux par les fenêtres, pour que le cœur de ces enfants ne sc gâte pas à ce goût de luxe. Une fois j’ai insinué que peut-être il serait gentil de faire un grand plaisir à un enfant pauvre, en lui donnant un de ces jouets. — C’est ça, m’a dit un de mes fds, acliète-lui en un, papa. — Mais mon enfant, ce n’est pas la même chose. Si tu donnes un jouet acheté avec mon argent, tu ne donnes rien du tout, car tu ne te prives de rien. Ce qui serait d’un bon cœur, ce serait de prendre quelqu’un de ces joujoux, celui-même qui t'amuse le plus, et de t’en aller chez un pauvre petit gars, qui, lui, 11e reçoit rien ou presque rien au jour de l’An, et de lui porter des étrennes. — Ah ! mais non ! Et il ajouta, après réflexion : — D'ailleurs, ça ferait de la peine à la personne qui me l’a donné. A cette raison, il n’y avait lien à ré pondre. Mais je ne pouvais songer, sans mélancolie, combien se développaient, en ce jour, chez les enfants, les idées d’é goïsme, grâce à notre imprévoyance. Et quand on pense que pour arriver à ce résultat déplorable, nombre de gens épuisent leur bourse, et rognent sur les dépenses nécessaires du ménage ; qu’on so sent, durant tout un mois, dans les ménages, de la saignée énorme faite à la bourse en lin seul jour ! Et il n’y a pas moyen de remonter le courant ! Je l’ai vainement essayé chez moi. Peut-être avez-vous, vous aussi, dans votre sphère, fait la même tentative : avez-vous été plus heureux ? Vous conti nuez à gémir des cadeaux reçus, et peutêtre gémissez-vous plus douloureusement encore des cadeaux à faire. Mais vous n’en recevez pas moins les lins, vous n’en faites pas moins les autres. Vous obéissez à l’usage, parce qu’il est impossible d’en secouer le joug. Et nous continuerons toujours ainsi ! Nous gâterons le moral de 110s enfants, et ce qui ne vaut guère mieux, nous alté rerons leur santé physique. Je regarde les enfants durant ces deux ou trois jours. Il est difficile de les empêcher de se bourrer de bonbons ; il est bien plus difficile encore de calmer l’exaltation où ils vivent. Les miens ont la fièvre. Au...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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