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Le Petit Marseillais, 7 août 1910

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Le Petit Marseillais
7 août 1910


Extrait du journal

Plus vite, toujours plus vite. Telle est la devise implacable de no tre époque, qui apparaîtra sans doute aux âges futurs comme une ère de folle et stérile agitation. S’il est dans les astres des esprits qui s'amusent à contempler la comédie que nous jouons, ils ne doivent pas être mé diocrement étonnés de la peine que nous nous donnons, sans autre but apparent que la peine elle-même. L’art pour l’art. Quant au bon Dieu de Béranger, s’il met encore le nez à la fenêtre, ce dont je doute, par le temps qu’il fait, il doit penser que toutes ses créatures sont at teintes de la danse de Saint-Guy, et il chante probablement : Si c’est pas moi qu’ils roulent de la sorte Je veux bien que le diable m’emporte I Il ne nous suffit pas d’avoir inventé les chemins de fer et un tas d’autres moyens de parcourir nptre terre, qui font qu’on met moins de temps A gagner Pékin qu'on u’en mettait autrefois pour aller à sa campagne. L’automobilisme est venu : plus vite, encore plus vite. Puis ce n’est pas assez ; voici qu’on traverse les airs. Plus vite, encore plus vite, dût-on se casser les reins ; et on se les casse. Mais quoi ? ne sommes-nous pas pressé ? Où va-t-on ? On n’en sait rien. I*a ques tion est oiseuse. L’affaire n’est pas qu’on arrive quelque part ; l’affaire est qu’on aille vite. « Voilà bien des embarras, disait un sage vieillard, pour aboutir plus tôt au cimetière ; comme si l’on n'était pas sûr d’y parvenir. » Mais c’était un sage vieillard, et on ne l’écou tait pas. Faust entraîné par le démon dans sa course vertigineuse est l’image de notre civilisation, qui prend son dévergondage pour du progrès. Notre amour effréné de la vitesse en toutes choses, et sans autre raison que la vitesse, se manifeste dans la bousculade de nos vices. Nous le retrouvons partout dans les vers que nous faisons, et que nous ne nous don nons plus la peine de rimer, afin d’en produire davantage, et jusque dans nos spectacles, qui se transforment en repré sentations cinématographiques, où les scènes se succèdent,l’une n’attendant pas l’autre, avec une rapidité toujours plus grande, en sorte qu’il semble que lors qu’on est entré quelque part on n’aspire qu’à en sortir. Nos repas mêmes nous les avalons avec une promptitude digne d’Harpagon, qui voulait qu’on mangeât pour vivre, et non qu'on vécût pour manger ; car les affaires nous appellent. En sorte que le pain est sacrifié au moyen de l’obtenir ; car, si l’on fait des affaires, c’est pour gagner de l’argent, et, si l’on veut gagner de l’argent, c’est pour jouir, ce qui n’em pêche pas qu’on se prive de toutes les jouissances, afin de se procurer le moyen de les avoir. Seuls, les banquets se pro longent ; mais cela tient à ce que, au lieu de s'y nourrir, on y écoute des sot tises. Vile, vite, toujours plus vite. La pré cipitation est telle, qu’aucune de nos préoccupations n’est durable. Nos amours et nos haines passent comme des éclairs. Il y a quelques mois, trois cent mille Parisiens hurlaient la mort au roi d’Espagne ; hier, il s'est promené dans Paris bien tranquillement. Hier aussi, les scandales Rochette alimentaient la curiosité, et dans tous les cafés les bocks tremblaient d’indignation. Les solutions sont remises à deux mois. Deux mois, l'éternité 1 Pourquoi pas quinze cents ans ? Dans deux mois, quand on voudra reprendre l’affaire, personne ne saura plus de quoi il s’agissait. Ce sera aussi vieux que la banque de Law. On les con fondra. On dira : « Ah 1 oui, sous la Ré gence 1 » C’est le bon côté de notre excès de mouvement. Le cinématographe opère. Nous n’avons pas plus tôt l’œil fixé quelque part que le spectacle change. Nous étions là ; nous sommes ici. Ta bleaux qui se succèdent sans liaison. On crie, on siffle, on applaudit. Tout cela pêle-mêle. On n’a le temps d’apprécier ni ses enthousiasmes, ni ses rancunes ; rancunes et enthousiasmes ont disparu comme la cause qui les avait fait naître, et le ruban développé nous montre d’au tres images. Je ris quand je vois des gens dresser des plans dans ce tohu-bohu, et préparer solennellement l’avenir. Vite, vite, tou jours plus vite. Est-ce que nous avons assez de loisirs pour songer à cette vé tille ? Quand vous montez en aéroplane est-ce que vous vous demandez à quel en droit vous allez atterrir ? Il ne s’agit pas d’atterrir, il s’agit de voler. Mais pour quoi voler ? Ah 1 cela on ne sait pas. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on est là pour voler. On vole. Oui, nous devons donner une comédie bien drôle à VEternel. « Quels singuliers fantoches j’ai mis sur cette planète-là l doit-il se dire. Ils sont toujours à se re muer et à changer de place pour revenir, d'ailleurs, à la même, ils auraient pu vivre assez tranquilles, tels que je les avais confectionnés ; mais ils se donnent mille fois plus de tracas pour se rendre la vie désagréable, que je n’ai mis de soin à leur procurer ce dont ils pouvaient avoir be^*a. Ils sont bien amusants, et...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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