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Le Petit Marseillais, 9 avril 1895

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Le Petit Marseillais
9 avril 1895


Extrait du journal

Quand un budget se tient mal en équilibre, il y a toujours un moyen de le mettre d’aplomb : il suffit de créer un nouvel impôt. Le remède est sim ple, seulement il fait toujours crier. Un brave homme de meunier qui a quitte son moulin pour venir s’asseoir au Luxembourg, M. le sénateur Girault, est en train d’en faire l’expé rience. Cet honorable père conscrit s’est mis en tète d’imposer les titres de noblesse ; il est convaincu qu’en ce temps de démocratie et de roture, l'aristocratie doit payer patente et que si quelque chose est taillable et cor véable à merci, c’est bien la vanité. Rien ne parait plus raisonnable, en apparence, que cette thèse ; vous ver rez cependant, cette semaine, le Sénat la repousser avec un ensemble parfait. La proposition de M. Girault n’a pour tant rien de menaçant, ni de révolu tionnaire ; elle est simple dans la forme et modeste dans le fond. Tan dis qu’il y a dix ans, un député radi cal du Nord, M. Moreau, cherchait presque à ruiner les nobles en les Frappant d’une taxe démesurée, — ne demandait-il pas deux cent cinquante mille francs pour le seul titre de prince? — le sénateur du Cher, lui, se montre moins exigeant. U varie l’im[)ôt selon la hiérarchie nobiliaire; a particule simple est par lui fixée à cent francs ; le grade le plus élevé ne coûtera pas plus de cinquante louis. Tout cela évidemment n’a rien de vexa toi re ni d’exagéré. Un impôt sur la vanité! quoi de plus naturel après tout? Nous payons un revenu pour nos objets de luxe, pour nos instruments de plaisir : le percepteur dresse des borderaux pour notre billard, notre chien, notre vélocipède. Il semble qu’il n’y ait rien d’exorbitant à imposer un titre de noblesse. Malheureusement le brave sénateur meunier n’a pas vu que son idée , d’allure très républicaine, cache une réelle injustice. Il y a nobles et nobles, comme il y a fagots et fagots ; il en est de très respectables, de très authenti ques. mais xm en voit aussi de ridi cules et d’absolue contrefaçon. Impo ser uniformément les uns et les autres serait vraiment excessif, et l’honora ble M. Girault aurait dù tout au moins faire une différence. Certains titres de noblesse constituent de véritables patrimoines de famille ; ils sont la récompense de services rendus à la patrie par les ancêtres, de mérites exceptionnels dont l’Etat a voulu per pétuer le souvenir. Voyez-vous les des cendants de Montmorency passer à la caisse pour avoir le droit de porter un nom vieux de plusieurs siècles, et que l’histoire en maintes pages a consa cré ? Pour ne pas remonter si loin et si haut que les Montmorency, il y aussi des nobles dont le titre n’est pas une usurpation : il n’est pas nécessaire de descendre des croisés pour être un vrai prince, un vrai marquis, un vrai baron. La Monarchie et l’Empire ont distribué à des serviteurs méritants ou utiles des parchemins de noblesse gui sont devenus la légitime propriété de leurs héritiers. Je ne vois pas pour quoi la République, respectueuse de tous les droits, verrait là matière à impôt. M. le sénateur Girault a eu le tort de ne pas songer à tout cela : sa pro position à le grand défaut d etre trop générale et de confondre les noblesses authentiques avec les noblesses en loc. Ce sont ces dernières seulement qu’il fallait frapper : tout le monde aurait applaudi. Oh ! les faux blasons, les fantaisistes particules . les attributs prétentieux et ronflants ! Quelle jolie source de revenus ! Vous avez honte de vous appeler Dupont ou Durand tout court: vous trouvez le nom trop bourgeois, trop roturier : il vous plait...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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