Extrait du journal

La Comédie-Française vient de repré senter avec succès une pièce en vers de MM. [jouis Gendreau et Guillot de Saix, qui a pour titre Jean de La Fontaine ou Le Distrait Volontaire. Une pièce do théâtre n’est pas une thèse que l’on passe en Sorbonne : la fantaisie, grâce au Ciel, n’a pas perdu tous ses droits et le poète peut encore ressusciter le passé, en cher chant à l’interpréter par ses propres sentiments. Si le public est désireux de connaître sur les grands hommes les détails exacts de leur existence et s’il demande à la critique une étude fouillée de leurs textes, il ne vient pas au spectacle comme il se rendrait an cours de la Faculté dos lettres, et il se plaît à cette représentation, qui demeure dans la logique du personnage. IjC vraisem blable est parfois plus vrai que la réalité et c’est ainsi que l’imagination communi que la vie à la science, qui l’oriente pour son vol. Désirez-vous pénétrer le secret d’un écrivain ? No vous contentez pas de l’étude des documents en les dépouillant avec un cœur impassible, en glanant quelques chiffons de papier qui vous apprendront que toi jour et à telle heure il s’est livré â telle occupation. Les archives sont les témoins indispensables, certes, à la reconstitution des faits, mais, pour sonder la pensée de l’artiste, inter rogez son œuvre : elle seule vous dira, serait-ce sous le couvert d’un maquillage ou d’une transposition, com ment l’homme a souffert, espéré, aimé, en vous montrant comment il a dépeint la souffrance, l’espoir ou l’amour des autres. « Sous la gaieté on devine une mélancolie qui, autant que le rire, est le propre de l’être humain », déclarait., en parlant du fabuliste — M. Robert de Fiers nous le rappelle dans un émouvant article — le sage, le clair, le délicat Alfred Capus, dont le regard semblait avoir conservé, pour la projeter sur le monde, la lumière de son ciel provençal. En effet, sous ces apologues souriants, ne découvre-t-on pas cette observation des créatures et des choses, ce doux scep ticisme, cette harmonie, enfin, que la pensée n’acquiert qu’après avoir écarté les attaques de l’amertume, évincé les inquiétudes de l’ambition déraisonnable et avoir étouffé toute jalousie du pro chain, par la conscience précise do la relativité, qui est la mesure de notre valeur ? Le génie de La Fontaine ne s’im pose pas moins, avec sa saine et souple originalité : il n’imite pas, il puise dans son siècle lus images et y choisit lus figures, ainsi que les peintres, ses contem porains, optaient pour leurs allégories destinées à orner le parc de Versailles. Assurément, l’exemple devait être tentant et l’on n’est pas surpris de voir un Florian, tout imprégné qu’il soit par l’inlluence de son I*nnguedoc natal, appli quer son esprit, cultivé par Voltaire, â suivre les traces de son devancier. Il fut victime de cette gloire qui jetait sur sa renommée une ombre, victime de La Fontaine, ainsi que le fut Regnard, do Molière ; ses poèmes, après ses contes, charmaient par leur naturel, autant que par leur finesse, toutefois l'aîné s’était acquis un titre définitif â l’admiration de la France et l’œuvre de Florian pâlissait fatalement auprès de la sienne. Pour renouveler le genre, il fallait le transformer. Allez donc engager un poète ou un prosateur sincère à concevoir, tout de go, une forme dans laquelle il coulera simplement son inspiration I Autant exiger de lui qu’il modifie son caractère et qu'il cesse d’être lui-même. La fable, par tradition, restait un récit...