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Le Petit Marseillais, 10 août 1910

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Le Petit Marseillais
10 août 1910


Extrait du journal

que joyeux, vers l’avancement. Un mot pour tant nous frappa dans leurs paroles, et nous échangeâmes, le collaborateur du Rappel et moi, un coup d’œil étonné, inquiet, lorsqu’un général, dont je n’ai jamais su le nom, un colosse, un géant, dit : — Ce qui m’ennuie, c’est que je n’ai pas en core de carte et que je vais dans un pays in connu! Au matin, nous étions à Frouard. Le jour se levait, limpide et très doux, sur les eaux claires de la Moselle, les coteaux verts, un coin de terre qui semblait sourire. A Frouard, point d’intersection de plusieurs lignes, on at tend le train qui mène à Metz, et nous nous promenions dans la gare, cette gare que je n’ai jamais revue sans me rappeler cette ma tinée, lorsque nous aperçûmes, à quelques pas de nous, un gros petit homme er> pardessus gris noisette, qui causait avec deux jeunes gens en uniforme. J’entendis quelqu’un dire : — C’est le maréchal 1 C’était Bazaine. Il avait l’air bonhomme et très simple. Il était là avec ses deux neveux, jeunes offi ciers, l’un artilleur, l’autre chasseur à pied. Je m’approchai assez près pour l’étudier, pas assez pour sembler indiscret. Et le maréchal, quoique un peu tassé, me fit bon effet, malgré ces vêtements qui lui donnaient l’allure d’un petit bourgeois en promenade. Il traçait du bout de sa canne sur le sable, — car il avait dépassé le quai de la gare, — des lignes géo métriques quelconques que je pouvais pren dre pour des plans, des ordres de combat. Son visage gras n’avait rien de l’expression las sée, bouffie, tassée que je devais lui voir plus tard, au conseil de guerre de Trianon, lorsque la graisse de son cou faisait bourrelet sur le col de son vieil uniforme sali. Il y avait en lui de la vigueur, de la verdeur. Sa sincérité même donnait confiance., « Voilà, me disais-je un homme qui tient en ses mains la destinée de la France ! » Les souvenirs du Mexique projetaient bien une ombre sur ce petit gros homme en cha peau rond. Mais la main qui traçait des lignes sur le sable paraissait ferme et les lé gendes faisaient un héros de cet enfant de Versailles, parti simple soldat de la maison où on ne lit plus, depuis longtemps, la glo rieuse plaque commémorative encastrée là, puis arrachée par ses concitoyens. M. Jules Claretie n’évoque pas seule ment ses souvenirs, il montre aussi ce qu’est l’Alsace en 1910. La figure de l’abbé Wetterlé apparaît parmi les visa ges de soldats. Citons encore un piquant tableau du champ de bataille de Sedan, où Jules Claretie se trouva ; cet épisode d’un soldat inconnu et ce mot d’un offi cier |llemand : Ah 1 les rages impuissantes du vaincu, les larmes fiévreuses du patriote 1 Je me retour nais vers ces masses noires comme pour les maudire ! Un commencement d’incendie, bien tôt étouffé, s’allumait dans la paille du camp. J’en étais heureux. Je souhaitais un anéantis sement complet de cette foule, un écrasement de cette horde. J’arrivai à la Chapelle épuisé. J’avais hâte de me sentir loin de l’ennemi, libre de mes réflexions et de mes colères. Un officier français, prisonnier, m’accompagna jusqu’au bout du village, sur la route de Bel gique, me répétant les fautes commises, im pardonnables, et contant ces batailles derniè res avec des frémissements dans la voix. — Vous allez trouver la République à Paris, sans doute, me dit-il ; c’est une consolation. Et comme, en ce moment, deux ou trois coups de feu, dont je ne voyais pas la direc tion, retentirent derrière nous : — Allons, ajouta le capitaine S... en me serrant la main, ces balles sont pour moi. On trouve que je m’écarte un peu trop et on craint que je ne veuille m’échapper. Je ren tre. » Et il reprit le chemin de la Chapelle, tandis que je suivais la route de Belgique. Nous n’avions plus trois cents pas à faire pour atteindre la frontière ; nous apercevions déjà la maison des douaniers belges, lorsque tout à coup, sur la lisière d’un bois, au bout d’un pré, un homme apparut,un artilleur fran çais, grand, maigre, couvert de poussière, qui s’abattit brusquement de toute sa hauteur sur l’herbe, comme si une balle l’avait frappé ; nous le crûmes mort.Nous accourons vers lui. Il buvait, il lapait un peu d’eau au courant d’un ruisseau, comme un chien altéré. Au bruit de nos pas, l’homme se redressa. Sa moustache et ses oreilles blanches de pous sière, la visière tordue de son képi, ses vête ments sordides lui donnaient l’aspect d’un vieillard et d’un pauvre. Il portait une cara bine en bandoulière et fit un mouvement pour la saisir. Trois mots l'arrêtèrent : — Nous sommes Français. — Ah! dit-il d’un ton rauque,*...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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