Extrait du journal

L'Or contre l’Argent Un des phénomènes économiques les plus importants qui puissent s’accomplir dans le monde, et dont les contre-coups sur tous les détails de la vie industrielle et commerciale des peuples sont incalcu lables, est celui de l’évolution monétaire. Depuis moins d’un demi-siècle, le métal argent recule de plus en plus devant le métal or comme monnaie légale. Voici que le Siam, à son tour, après le Japon, dans celle Asie immense où Y argent seul régna toujours, vient d’élever Y or à la dignité de monnaie et de frapper les premières pièces jaunes, conformément à la loi du il novem bre 1908. 11 est permis de considérer comme possible, dans l’avenir, la même réforme en Chine, dans l’Inde, dans tous les pays enfin où Y argent est resté la seule monnaie officielle et usitée. C’est en présence de ce mouvement que surgit une question considérable, celle de la nature et du rôle de la monnaie, — qui donne lieu à de si vives controverses entre les monométallistes (partisans d’une seule monnaie), et les bimétallistes (partisans de deux monnaies). Cette question est si importante, peut entraîner de si graves conséquences, et le public la connaît si mal qu’il est néces saire de l’exposer avec quelques détails. -H4HD’abord, qu’est-ce que la monnaie ? « C’est une marchandise comme une autre, disent les uns. L’Etat ne fait que certifier son poids, son titre ; il ne peut ni lui attribuer ni lui retrancher une valeur quelconque. » Telle est la doctrine monométallisle. « Pas du tout ! disent les b i métal listes, c’est une mesure légale, destinée à éta blir, à apprécier le rapport commun de valeur existant entre diverses marchan dises. La monnaie est à la valeur ce que le mètre est à l’étendue. Celte mesure de la valeur est également conventionnelle comme le mètre. « Nous avons convenu que la dix-millionnième partie du quart du méridien terrestre serait notre unité de mesure des grandeurs et s’appellerait mètre. Nous aurions pu convenir d’autre chose. Le mètre n’existe donc, en tant que mesure, que par la loi. « De même, nous avons convenu que 5 grammes d’argent, alliés d’un dixième de cuivre, serviraient d'unité de mesure des valeurs et s’appelleraient franc. Nous aurions pu convenir d’autre chose. La valeur de l’argent provient donc de la loi, qui l’a ainsi érigé en mesure privilégiée, exclusive. » Telle est la doctrine des bimétallistes. Examinons rapidement ces deux doc trines.L’une est-elle exclusivement vraie? L’autre exclusivement fausse ? Sont-elles, l’une et l’autre, mélangées d’erreur et de vérité, comme il arrive souvent dans les opinions des hommes î Nous allons le voir. Est-il exact, premièrement, que la monnaie soit une marchandise comme une autre ? Non, c’est inexact. L’or (seule monnaie pleinement légale, aujourd’hui,en France et exclusivement légale en Angleterre, en Allemagne, au Japon, etc.), l’or est une marchandise sans doute, mais une mar chandise tout à fait spéciale et privilé giée, en vertu de la loi. Le producteur d’or ne ressemble en rien au producteur de blé, au producteur de fer, au produc teur de diamants môme, ou au pêcheur de perles. Tous ces producteurs, une fois leur marchandise obtenue, sont obligés, pour en tirer parti, pour se procurer, en échange de la nourriture, des vêtements, une maison, de la vendre, de la convertir en monnaie. Il faut qu’ils trouvent un acheteur, qu’ils aillent le chercher. Ils sont exposés à la baisse, à la mévente ; ils peuvent attendre en vain pendant des semaines, des mois, des années, sans trouver acquéreur. Ils sont soumis à la loi de l’offre et de la demande, qui peut...