Extrait du journal

Trop de Rigueur Une note parue hier fixe les ter mes du serment fiscal. Il est plaisant de voir nos législateurs, qui se sous traient si facilement au tacite ser ment électoral de servir la patrie et les citoyens, imposer à ces derniers une formule qui les engage d’nonneur. D’honneur, est une façon de parler, car en matière de contribu tions, il en sera comme des propos de joueurs aux cartes : — Nous ne jouons rien; nous jouons l’honneur. Ou plutôt, cette invention du ser ment fiscal va se tourner encore une fois contré les naïfs et les scrupu leux, ceux que M. Loucheur qualifia définitivement de « poires ». Les fraudeurs habituels ne seront pas gênés par un écrit affirmatif. Au contraire, ils signeront tout ce qu’on voudra, la vérité exceptée. Corneille écrivait : Un menteur est toujours prodigue de serments Par contre, les citoyens de bonne foi déclareront jusqu'à leur dernier sou et seront impitoyablement taxés. C’est toujours comme cela que finis sent les mesures d’exception. On a vu jusqu’à quelle rigueur ridicule le fisc pousse ses sévérités; un contri buable qui aura, sans le vouloir, omis de déclarer 2.000 francs, paiera 8.000 francs d’amende. Celui qui ne déclarera rien jouera sa* chance de n’être pas taxé et de n'être pas re cherché. Voilà la démonstration par l’absurde La* Chambre qui crée le serment fisàal, en fait la caricature du ser ment civique. La période révolution naire fut friande de ce geste. Toute son histoire est remplie de serments publics.Les hommes du Jeu de Paume inaugurèrent cette frénésie. En 1789, les troupes prêtaient serment au pou voir civil et les assemblées primaires durent le serment de fidélité à la Constitution. En 1790, serment des milices d'êtres fidèles à la nation, à la loi et au roi. Cette manie du ser ment devient épidémique quand on voit les autels de la patrie s’élever sur tous les points du territoire. L’institution du serment civique est alors officielle A l’âge de 21 ans, tout citoyen prêtait serment pour entrer dans les assemblées primai res. On exige également ce symbole de la main tendue des fonctionnai res, des militaires, des ecclésiasti ques. Les membres de VAssemblée législative s’y astreignent eux-mê mes en promettant de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir à leur poste. Que de-parjures, ensuite I. Autant de mensonges quand la Convention soumet les citoyens au serment de haine à la royauté, nuis, conjointement, à l’anarchie. Tous ces gestes solennels font aussitôt des apostats, impérialistes ou royalistes des années suivantes. La République de 48 supprima le serment civique, l’Empire le rétablit, la troisième République le supprima encore. De quel droit, alors, le rem placer par cette grimace du serment fiscal ? Celui-ci masque cyniquement l’exploitation du contribuable et son étranglement entre deux feuilles d'impôt. Ce n'est plus le serment, c’est le serrement fiscal. — E. Th....