Extrait du journal

CHAPITRE XXIII. — PISTOLE ET PISTOLET ils étaient deux, par Marseille, qui avaient com me chanteurs des rues une vogue telle qu’autour d’eux se rassemblaient deux ou trois cents per sonnes chaque fois qu’ils paraissaient. L’un, Pistole, était manchot. L’autre, Pistolet, n’avait qu’une jambe. Pistolet était grand, mince, sec, noir comme tme taupe, haut perché sur patte, avec un long cou, une petite tête pointue, un nez en pointe, des yeux jaunes et ronds comme ceux du héron. Ce grand diable de squelette avait des bras im menses et des mains qui n’en finissaient plus ; de là une habileté inouïe pour promener ses doigts de singe sur les cordes d’un violon. Il ne savait pas la musique ce Pistolet, eteependant il jouait avec un talent singulier, tirant de son instrument des effets d’accompagnement très bizarres dans les chansons comiques. 11 avait l’esprit tourné à ce que les Parisiens ap pellent la blague à froid; il avait toujours l’air étonné à cause de son nez qui piquait droit sur l’horizon ; quand il avait lâché quelque gras ca lembour dans un couplet, il semblait en être ébahi lui-même. Sa voix de ténor, bizarrement timbrée, tintait comme une clochette dont le son eût été altéré par une paille sans nuire cependant aux vibra tions ; on l’entendait de très loin ; elle tenait un peu du bêlement de la chèvre. Comme il était très farceur, on en avait si sou vent dit, c’est un drôle de pistolet, que ce nom de Pistolet lui en était resté par abréviation. Son compagnon était un gros rougeaud, ra massé, courtaud, avec jambes en poteaux, tro ène enluminée, lèvres lippues, mains courtes, Hoiffts carrés, yeux lubriques et laideur grasse ; certains miroirs élargissant et bouffissant les fi...