Extrait du journal
Le problème de la Thrace, lié à celui des Détroits et A la paix balkanique, es* de ceux dont on ne peut raisonner sans avoir vu les choses de près. Lorsque, en 1913, je suis entré dans Andrinople, qui venait de succomber après un siège célè bre, en compagnie des Serbes, des Bul gares et des Grecs, le rideau sest levé pour moi sur une tragédie dont, malgré beaucoup de lectures, et d’informations orales, je ne soupçonnais pas Vacuité. Les heures qui suivent la prise, on ne peut pas dire le sac d’une ville, sont une de ces minutes de ioie soldatesque et fie brutalité triomphante où tous les mas ques tombent. Ce que je vis clairement ce jour-là, ce fut que, Grecs, Bulgares, Serbes, alliés triomphants, semblaient entre eux plus ennemis qu’ils ne l'étaient au fond avec le Turc vaincu. C’est peu de dire que, môme A cette minute d’une ivresse qui aurait dû être commune, il n’y avait pas de contact entre les officiers. Des généraux vous prenaient A part et vous disaient à l’oreille : — Savez-vous quelles nouvelles nous arrivent de l’intérieur ? Les Bulgares se sont comportés dans les villes de Thrace où ils venaient d’entrer, comme auraient pu le faire les Turcs eux-mêmes. Ils ont violé les femmes et les filles de leurs alliés, au moment môme où nous mar chions ensemble, mêlant nos drapeaux. Inutile de vous dire que les Grecs ne se sont pas montrés plus discrets. C’étaient des popes grecs qui signalaient aux Turcs exaspérés de leur défaite, les mai sons des Serbes et des Bulgares et qui les désignaient ainsi A l’ultime pillage, aux violences de la colère, avant la fuite. Vous n’aviez qu’à changer d'auditeur pour entendre les mômes récits. Seuls, les noms changeaient dans les imputa tions de reproches, malheureusement trop justifiées. Les exaspérations demeu raient les mêmes. On prend donc, à cette heure, une pré caution plus que sage en invitant les Grecs à évacuer la Thrace avant que de permettre aux Turcs de s’y installer A nouveau en maîtres du pays. Car ici, ce n’est pas la possession du sol qui compte, c’est la race A laquelle on appartient et la religion que l’on professe. Entre Musulmans et Chrétiens, la couleur reli gieuse est bien tranchée. Mais com ment se .ieconn«t4re entre ctfs nuances de l’orthodoxie grecque, de l’orthodoxie serbe, et de l’orthodoxie bulgare. Elles sont pourtant si capitales aux yeux de ceux qui marchent derrière ces différen tes bannières, qu’elles donnent autant dire, droit au pillage et à l'égorgement. L’orthodoxie bulgare ne se distingue de la grecque que par une ou deux for mules sans importance dogmatique, introduites dans les Offices. Les Grecs s’étaient imaginé que la vic toire remportée à trois avait fait tomber cet obstacle, et j’ai assisté, de ce chef, A une scène d’un haut comique, jouée dans l’église grecque d’Andririople, entre Ferdinand de Bulgarie et l’Archevêque Grec, A l’occasion de l’Office qu’on fit célébrer après l’assassinat du roi Geor ges. Afin d'étouffer les paroles de conci liation et de réconciliation que l’officiant grec voulait prononcer en sa présence, avec l’espoir de l’engager, Ferdinand avait fait venir subrepticement de Sofia des chœurs de jeunes gens et de jeunes filles. Il en avait garni les fonds des tri bunes de l’église. Ils entonnèrent des chants, soutenus de musique, au moment même où l’Orthodoxe grec commençait sa prédication. De cette façon, on n’en tendit pas un mot de ce qu’il disait. L’occasion était perdue. Je vis ce prélat dans la soirée du même jour. Il avait l’aspect d’un homme qui a été mordu par un chien enragé et qu’il est imprudent d’approcher de trop près. En ce qui concerne le contrôle que les Turcs peuvent, quand ils le veulent, exercer sur eux-mêmes, j’ai deux anec dotes typiques à citer. Quand on arrive à Sofia, on est tout surpris de voir que le matin il ne cir cule pour ainsi dire pas de femmes dans...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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