Extrait du journal
conscience de leur force ne naîtra point en eux, à un moment donné ? Malgré Y « européanisation » de l’Inde, malgré les banques, les chemins de fer, les télégraphes, les tramways, les Anglais sont-ils assurés de n’avoir plus à défen dre péniblement leur conquête ? Ecoutez ce que disait, tout récemment, un voyageur qui ne se souciait, cepen dant, que du pittoresque dans l’Inde ; qui ne s’attachait qu’à l’observation de coutumes nouvelles, de mœurs bizarres pour un « touriste » parisien qui, dans sa rapide excursion, d’où il ne souhai tait qu’impressions amusantes et curieu ses, laissant, de parti pris, l’étude des problèmes politiques ; écoutez ce que disait le spirituel avocat M. Cléry. Il n’avait pu, cependant, s’empêcher de pressentir une énigme sur ces visages d’humiliés. « Qu’y a-t-il sous ces fronts noirs, écrivait-il, en terminant ses notes,— où, encore une lois, il n’entendait n’être que le narrateur aimable de ces souvenirs — qu’y a-t-il au fond de ses yeux sombres et doux ? Quelle arrière-pensée se cache sous l’apparente mollesse de ce peuple vaincu, et ne fait-il pas le rêve de cris per un peu ses fines mains sur le man che du poignard qui brille à sa cein ture? Ne demande-t-il à ses idoles de pierre et de marbre que la pluie bienfai sante qu’Agni retient au fond des nuages? Ne leur demande-t-il encore qu’une terre féconde et des troupeaux nombreux, comme au temps où, devant l’autel de verdure, l’Aryo, chef de famille, prêtre de Dieu, lui offrait des fleurs et du lait ? Ainsi, même en un temps où ne grondaient nulles colères extérieures, où les pays qu’il traversait semblaient pro fondément calmes, M. Cléry avait saisi — ne fît-il que passer — l’amertume de la soumission, l’imperceptible impatience du joug supporté chez ces populations hindoues, douces, pourtant, en général, si douces qu’elles ont pour les animaux une pitié quasi fraternelle. N’est-ce pas à Bombay même, où l’on vient de se battre avec acharnement, où d’affreuses violences ont été commises, où des actes barbares se sont mêlés de perfidie, qu’existe cet « hôpital des bêtes » où l’on voit, soignés presque pieusement, avec des égards qu’on ne connaît point en Europe, des zébus estropiés, et jusqu’à des faucons aveugles et des singes para lytiques !... Le touriste français pense instinctivement que, dans les villes d’Eu rope, bien des vieillards, bien des dés hérités, des vaincus de la vie envieraient ces soins accordés à des animaux I Oui, mais cette douceur, cette espèce de tendresse envers les êtres les plus humbles de la création n’est pas tout le caractère hindou. Ce peuple, qu’on a ré duit au rang d’esclave, a une force in croyable de dissimulation, sait cacher, aussi longtemps qu’il le veut, ce qu’il pense vraiment. Les Anglais se sont fait craindre dans l’Inde. Au reste, leur mépris pour les Hindous, quoiqu’il 11e soit pas toujours justifié, est instructif, sincère, et on pourrait dire presque « ingénu ». Mais la crainte est tout ce qu’ils ont obtenu. Avec les procédés qu’ils emploient, ils ne sauraient, franchement, demander qu’on les aime. Il n’y a pas longtemps, paraissait une brochure singulière qui dévoilait d’abo...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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