Extrait du journal
MUSICIENS et PEINTRES J’ai rencontré, hier, en sortant de la répétition générale de Thaïs, à l’Opéra, un pauvre diable de jeune compositeur, ancien prix de Rome, qui m’avait été recommandé il y a quelque dix ans par un ami de province et que j’avais essayé de pousser un peu dans Paris auprès des directeurs de théâtres lyriques que je connaissais. Le malheureux avait une tenue minable, se servait des murs pour cacher, sans doute, les bosselures de son chapeau et les effrangements de son pantalon. J’allai à lui et, avant qu’il pût m’éviter, je me fis reconnaître. Mis en confiance au bout de quelques se condes, il m’avoua ses cruelles désillu sions. Rentré à Paris après ses trois ans de Rome, il avait, à la suite de force démarches, obtenu d’être joué à l’Opéra-Comique. Son œuvre, peu sou tenue par la presse où il ne connaissait personne, n’avait pas eu de succès. Depuis ce temps, impossible pour lui de placer une autre pièce, car les théâtres subventionnés ne sont tenus de jouer qu’une seule œuvre d’un prix de Rome, et, ce sacrifice accompli, ils se hâtent neuf fois sur dix de refuser les autres. Tant pis pour les jeunes ! Us vieilliront. Reste à savoir s’ils ne mourront pas de faim, ce qui leur permettra de ne pas vieillir. Le pauvre prix de Rome que j’ai rencontré me disait qu’il était encore beaucoup moins malheureux que certains de ses camarades égale ment prix de Rome. « Je vais de ce pas, me dit-il, en retrouver un dont tout le mobilier consiste dans sa malle vide, la malle avec laquelle il est venu de sa province, il couche dessus. » Qui faut-il accuser de la déplorable situation ainsi faite aux jeunes compo siteurs ? Les deux théâtres subvention nés : l’Opéra et l’Opéra-Comique ? Ce serait injuste. Ces deux impresarii sont excusables de ne pas dépenser à la légère les trois ou quatre cent mille francs que coûte le lancement d’un opé ra et, en conséquence, de préférer les auteurs arrivés aux débutants. Or, en dehors de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, Paris ne compte pas un seul théâ tre jouant de la musique sérieuse avec quoique suite. Depuis la disparition du Théâtre-Lyrique,les tentatives mises en avant ont échoué. La dernière, entre prise par M. Détroyat, a sombré misé rablement. A l’heure actuelle, Paris compte plus de vingt jeunes gens ayant obtenu le prix de Rome qui courent le cachet pour vivre sous les toits des riches et qui peut-être demain seront obligés de jouer du crin-crin dans les bals publics. Le vrai coupable, c’est l’Etat; car en fin, en instituant des prix de Rome, c’est-à-dire des bourses permettant de suivre une carrière déterminée,il prend un engagement vis-à-vis de ces jeunes gens, il doit leur permettre de se pro duire. Or, les deux déversoirs qu’il leur offre sur l’Opéra et l’Opéra-Comique sont je le répète, notoirement insuffisants. Ce n’est pas sur une pièce en un acte, généralement jouée dans des conditions inférieures d’interprétation et de mise en scène que le public peut apprécier les qualités artistiques d’un jeune com positeur. il faudrait au moins deux ou trois épreuves. Sans compter qu’en France notre éducation musicale n’est pas assez faite pour nous permettre de juger un opéra à première audition. Rappelons-nous que Faust, à sa pre mière représentation, a été presque sifllé. Si Gounod n’avait pas trouvé un défenseur inébranlable en la personne du directeur du Théâtre-Lyrique, M. Carvalho, il aurait peut-être, lui aussi, traîné toute sa vie des pantalons effilo chés dans les couloirs des théâtres de musique. Triste métier, on le voit, que celui du compositeur qui veut percer. Mais le sort du musicien qui a réussi est-il beau coup plus enviable que celui du fruit...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
En savoir plus Données de classification - de mahy
- brunet
- michelin
- bourelly
- doumer
- reinach
- poincaré
- mahy
- guerre
- donne
- rome
- paris
- hambourg
- chambre
- londres
- marseille
- vienne
- toulon
- france
- salonique
- parlement
- théâtre-lyrique
- journal officiel
- suez