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Le Petit Marseillais, 23 juin 1890

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Le Petit Marseillais
23 juin 1890


Extrait du journal

LE PATRONAT On se détesterait moins si l’on se connais sait davantage, mais le temps nous man que le plus souvent pour nous fréquenter, pour apprécier réciproquement nos efforts et nous rendre mutuellement justice. Dans l’affairement de la vie quotidienne, nous n’entrevoyons qu’en surface les hommes et les choses et nous formons surtout notre jugement sur les tares et les aspérités ex térieures qui sont les premières à frapper notre vue. Et puis nous aimons à nous haïr, comme disait amèrement M. Thiers, à nous traiter de scélérats, quand au fond nous sommes surtout un peu sots et igno rants. Ces mélancoliques réflexions me viennent en lisant un discours prononcé à Lyon, par M. Georges Picot, membre de l’Institut. Cet homme de bien, lettré, délicat, historien de haute valeur et orateur d’une grande éloquence, est une façon de saint moderne, très bon et très souriant, il a une grande barbe, mais elle est fort bien peignée et donne de la gravité à son beau visage, où deux yeux très doux cherchent sans cesse le lieu où il y a une bonne parole à dire, une action utile à accomplir. C’est un ré publicain, passionné pour la liberté, pour l’action incessante, efficace mais discrète et par dessus tout modeste. Dans le monde des politiciens, il est peu connu. A gauche, on lui préfère M. Vaillant ou autre membre du Conseil municipal. A droite, il est consi déré comme un démagogue, bien qu’il soit catholique. Notre homme va son chemin, semant les vérités longuement amassées, prêchant la paix sociale, recommandant la pitié aux uns, la patience aux autres et s’appliquant à révéler aux humbles tout le bien qu'il apprend sur le compte des grands et à faire connaître aux forts toutes les misères et les douleurs des petits. Il n’avait pas attendu que l’empereur d’Allemagne et les membres du congrès marxiste soulevassent la question ouvrière pour se consacrer presque tout entier à l’a mélioration du sort des travailleurs, mais la poussée de socialisme autoritaire qui ébranle en ce moment les sociétés vieillies, a redoublé son ardeur et son zèle. Et le voilà reparti, reprenant sa croisade contre les inventeurs de civilisations imaginaires. L’idée maîtresse de M. Georges Picot, c’est que la solution de presque toutes les questions sociales est dans les mains des patrons. C’est sur le patronat qu’il compte pour faire l'éducation de celui qu’il em ploie, « ne lui imposant rien, mais lui of« frant un appui, ne lui infligeant pas une « servitude, mais plaçant à sa portée une « ressource, apprenant enfin à l’ouvrier « comment il doit se servir du plus délicat « des instruments, la liberté. » Avec une perception très délicate et très fine des vibrations inconscientes des âmes ouvrières, M. Picot a démêlé fort juste ment, à mon avis, le secret des découra geants insuccès subis par les patrons géné reux qui s’imposaient les plus lourds sacri fices pour améliorer le sort de leurs em ployés. Ce secret, il est dans la méconnais sance de ce sentiment qu’on retrouve au fond de tout cœur humain, de vouloir agir librement et d’être, dans une certaine me sure, l’artisan de son propre bonheur. Les patrons philanthropes — et ils sont nombreux — qui ont cru faire œuvre utile et féconde, en se substituant à la Provi dence et en essayant de pourvoir, tout seuls, aux besoins de la classe déshéritée, ont tous échoué dans leur entreprise. Iner tes ou défiants, les ouvriers ont pu bénéfi cier d’une œuvre qui n’était pas la leur, ils...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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