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Le Petit Marseillais, 24 septembre 1905

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Le Petit Marseillais
24 septembre 1905


Extrait du journal

l’armée restait hostile. Enfin elle perdit patience. Une effroyable huée roula vers le sous-lieutenant : — A mort ! Il nous embête ! On va lui chanter cinq et six ! Ohé ! le supérieur ! par file à gauche ! lève le pied ! La tentation de le « coucher » éner vait les mains. Des sabres et des fusils se baissèrent. Comme il secouait la bride d'un marin de la garde, Montan der reçut un coup de fouet qui lui raya les deux joues. Alors, il ne se connut plus. L’argot du collégien et du grena dier s’emmêlèrent dans sa gorge en feu et le mépris, la haine et la rage bondi rent de sa bouche tordue, en pelotons de cris ivres : — Détrousseurs ! Gralteurs de villes ! La potence !... Au lieu de la combattre, vous venez de crocheter l’Espagne! Vous êtes pires que ces mercenaires qui ne font rien pour rien ! Vous êtes de faux soldats ! Qu’avez-vous appris sur Jes champs de bataille !... Est-ce que c’est Cartouche qui nous commande ? Des hommes décorés à Austerlitz ! à Iéna ! souiller la guerre avec de l’argent ! changer la déesse en harpie ! Vous brigandez la gloire, pleutres ! Que quel qu’un réponde ! qu’on me provoque ! Ah ! saleté humaine ! A?/ri sacra famés, la soif ardente de l’or ! Si j’étais l’Empe reur, tas de cochons, je vous ferais crier famine sur le blé ! Corsaires ! soldats de lard jaune ! sangsues ! vous avez volé vos croix ! Une armée cupide, déshon neur ! Faire Cille, s’enfuir quand les frères combattent ! Je vous croyais une troupe française, propre à l’escalade, non pour s’emparer des fenêtres, mais pour emporter des retranchements ! Favier, blessé à Hohenlinden ! Dalmas, qui porta une nuit les dépêches de Murat ! Capenot, qui prit un étendard ! tous des gredins ! des grenadiers de fricfrac qui préfèrent la pince et le croc à leurs baïonnettes ! Des domestiques fri pons qui ont fait du drapeau un tapis ! Des filles aux foies blancs ! Oui ! un pen sionnat de filles ! Grondez donc ! osez.. voilà mes dents, j’avance sur vous... Si quelqu’un veut manger de la salade de sabre, je la lui enfoncerai jusque dans le ventre, je la lui ferai avaler avec sa bave et sa langue ; Déshonorés ! vous m'entendez ! vous êtes déshonorés ! déshonorés ! Au lit ! les grognards. Des pantoufles à l’armée impériale, une bas sinoire aux vieux ! du lait chaud I...J Un paquet de balles - VinterrompiU Une, en tintant, arracha le hausse-col du hurleur. 11 rit d’un rire rouge, fit un saut de côté vers le jet de feu sorti du fusil, mais il fut aussitôt noyé dans un tourbillon formidable. Cet orage d’insultes, en rugissant sur la foule, avait violemment retourné les âmes. Toujours exaspérés, les hommes, cependant, avaient compris. Une voix de mystère, le commandement d’un chef invisible inspira les mains, dirigea les guides, recula et accumula les voitures les unes sur les autres, en fit un ramas de chevaux et d’hommes, un bloc, une sorte de vaste gerbière où s’enmeulaient les trésors conquis, les meubles, les sta tues, les livres, les étoffes et les sacs d’argent. La défection de quelque sol dats fit le reste. Dalmas, Favier, Gen nery, Gobert, Capenot et Laroque, que cette malédiction cinglante frappait et défigurait, se Rejetèrent devant leur passé, leurs souvenirs, leurs livrets, leurs croix... et l'Empereur. Leurs veines, un moment, battirent à vide. Mais, presque aussitôt, le sang et l'honneur y revinrent. De ces choses volées, qui représentaient l’aisance au pays natal, la maisonnette au bord d’un fleuve, ou une barque, ou une vigne, ou la dot d’une nièce, ils se détournèrent. Un mot courut d’une voiture à l’autre, adopté et aboyé par mille moustaches grises : — Au feu 1 Une fumée monta bientôt des voitures et un coup de canon bouleversa l’air autour des hommes. C’était un appel, le râle de la compagnie de Doguereau. Cinq mille voix crièrent : —- Aux armes I Puis la multitude entraîna vertigineu sement Montander. Poussé par la foule, porté par cette masse compacte qui lui conservait l’équilibre, l’officier courait en fermant les yeux. Il ne savait, acca ble de joie, s’il était mort ou vivant.Der rière lui les voitures brûlaient ; devant lui, au loin, il venait de voir Dupont sortir les drapeaux pour les rendre à l’armée prodigue. C’était un trop beau jour, l’enfant n’osait le regarder. Mais de ses yeux clos, coulant avec la sueur et s’épaississant de boue et de poussière, des larmes nombreuses s’échappaient G. D’ESPARBES....

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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