Extrait du journal

Récemment, un règlement ministériel modifiait les habitudes administratives de l'assistance publique en ce qui concerne les noms à donner aux enfants trouvés. Certains de ces noms, qui à la vérité n'en sont pas, indiquent trop, en effet, l’ori gine anonyme de l’enfance abandonnée. Il y aurait autre chose à faire encore dans ce domaine, et cette autre chose est le principal, c’est-à-dire une réforme géné rale de notre organisation d’assistance envers les enfants du hasard. Ce hasard même, que nous invoquons si souvent, n’est au fond que le plus affreux égoïsme de l’homme refusant d’accepter les charges de la paternité, après la pro vocation à l’union libre. M. Jean Payoud, dans le livre qu’il vient de faire paraître, le Petit de l'Hospice, nous trace un tableau fidèle, hélas ! du banal abandon de la jeune fille par le cor rupteur responsable. L’enfant naît. La misère traque la malheureuse mère. La société ne lui permet pas de satisfaire aux premiers besoins du petit être. Nous n’avons plus le « tour » d’autrefois, mais nous avons ce qui le remplace : le bureau des enfants abandonnés. Là, chaque jour, des infortunées se séparent de leur enfant qui, aussitôt, est mort pour elles. Le déchirement est d’autant plus atroce qu'il est inéluctable. Si ce spectacle n’avait lieu à huis clos, il remuerait un cœur de pierre. L'auteur condamne à bon droit ce système, qui, d’un côté, favorise l'abandon prémédité des enfants et, de l'autre, prive les petits abandonnés de l’allaitement maternel. Mais la société trouve que tout est bien, puisque les victimes ne se plaignent pas. Comment se plaindraient-elles ? Les filles dites coupables cachent leur honte et leurs pleurs et les petits abandonnés meurent dans la proportion de soixante pour cent. Les quarante autres deviennent ce qu’ils peuvent. Ce sont des numéros plutôt que des individus. Ils deviennent ce que devient Léonce Bellemard, le héros du roman-plaidoyer de M. Jean Payoud. Ce Léonce, une fois confié à l’hospice, est le numéro 2.075. Il porte cet état-civil au cou avec un collier d’olives en ivoire. Sain et fort, il grandira malgré les heurts et les transports, les mauvais traitements et les blessures d’âme. L’auteur nous le montre d’abord en nourrice chez des paysans. Son entretien, que paie l’assistance, est une ressource pour ces campagnards. Plus tard, les dix francs mensuels que verse l’assistance seront jugés trop maigres par la famille besogneuse chez qui on \p transfère. Il recevra plus de taloches qu’il ne mangera de soupe. Et la politique s’en mêlera. Le mince profit qu'il représente sera disputé par des gens qui demandent des faveurs à la politique. Tel un colis vivant, Léonce est donc, au petit bonheur électoral, tan tôt confié à une famille radicale et tantôt à un électeur socialiste. S’il va à l’école, son origine est vite connue et l’épithète de bâtard ne lui est pas épargnée. Il veut s’enfuir. L’administration le poursuit ; elle est une mère impitoyable pour ses pupilles. Les meilleurs jours de Léonce se passent dans les Alpes, parmi les simples et avec les bêtes qu’il garde. Auparavant, il a fait un séjour à l’hospicè de dépôt des enfants abandonnés,foyer de vice et d’hypocrise,où l'exemple de la dissimulation et de la bas...