Extrait du journal
Une Bonne Farce De grâce laissez-moi rire. Après la curieuse et grotesque séance, où la ménagerie du Palais-Bourbon a paru une arche de Noé, tant s’y entremê laient les cris de tous les animaux de la création connus et inconnus, quelqu’un qui, celui-là, riait aux larmes, s’est avisé de déposer un projet de loi supprimant toutes les décorations. N’est-ce pas qu’elle est bien bonne ? Il paraît que lorsqu’on a appris la chose au tsar de Bulgarie, qui dînait précisé ment à l'Elysée, ce souverain a failli choir dans son potage et s’est écrié : — Décidément, les Français sont les plus plaisants du monde l — Votre Majesté peut être tranquille, lui a dit quelqu’un que le respect m’em pêche de nommer, c’est histoire de s’amuser un brin. S’il n’y avait plus de décorations en France, comment la France aurait-elle un gouvernement ? On sait bien qu’un gouvernement ne gou verne pas en faisant de la politique, mais en distribuant des décorations. J’aurais aimé à entendre prononcer ces sages- paroles à la Chambre des dépu tés, et quand le garde des sceaux est monté à la tribune, donnant ce specta cle sans précédent d'un ministre interve nant dans une question de validation, on aurait cru qu’il justifierait sa présence en s'exprimant en ces termes : — Qui, messieurs, trompe-t-on ici ? Les décorations n’ont peut-être pas été inventées pour les besoins électoraux ; mais il y a longtemps qu’on les emploie à cet usage. Personne ne l’ignore, c’est au point qu’il existe une société très re commandable, laquelle donne des fes tins, où, entre les fraises et le café, on se livre à ce trafic de rubans, parfaite ment admis aujourd’hui dans le monde officiel. A la vérité, le trafiquant n’en convient point et raisonne comme ce personnage de la comédie qui disait : « Je ne suis point marchand. Il est vrai que certaines gens viennent pren dre chez moi des objets et que, ensuite, ils me font de petits cadeaux d’argent ; mais je ne suis pas marchand. >> De même sorte on peut dégager l’octroi du ruban de la réception de la somme. Ce pendant, chacun sait à quoi s’en tenir. On le sait même si bien que, dernière ment, dans un traité signé entre deux candidats, l’un s'obligeait à fournir à l’autre, comme pot-de-vin concluant le marché, un certain nombre de ces ré compenses dites honorifiques, parce qu’elles tiennent lieu d’honneur. Cette clause a semblé toute naturelle aux tri bunaux. C’est pourquoi voilà bien du bruit injustifié... Le garde des sceaux n’a pas parlé ainsi .Voulant faire invalider le député, qui n’est pas son ami, il a préféré ap puyer sur la gravité de l’accusation de corruption, feignant de s’imaginer que cela ne s’était jamais vu, que jamais, au grand jamais, on n’avait corrompu un électeur ; que jamais, au grand jamais, on n’avait acheté des voix, ni promis l’étoile des braves en échange d’un bon bulletin. Et alors il s’est trouvé cette chose dé licieuse que, tandis qu’on valide un nombre considérable de corrupteurs, on a invalidé celui qui s’est plaint de la cor ruption. Cela lui apprendra. Malheur à celui par qui le scandale arrive ! a dit l’Evan gile. Or, le scandale ne consiste pas dans le fait, qui n’est pas niable ; il consiste dans le bruit qu’on fait autour. Un homme modéré et circonspect traite d’une croix ou de toute autre marchan dise en circulation ; il n’y a pas de mal à cela. Le mal commence quand le mon sieur se met à crier comme un putois qu’on a voulu le corrompre. N’est-il pas indif.ie d’être député, puisqu’il se refuse à être corrompu ? Cinquante mille francs, c’était tout de même un peu cher. Il y en a un autre qui s’est levé pour dire : « A moi, on ne demandait que trente mille... » Cela dé pend des moyens. En tout cas, si notre monsieur eût accepté, ainsi qu’il con vient, il siégerait, aujourd’hui, au nom bre de nos législateurs et serait honora ble au premier chef ; tandis que, grâce à l’incongruité qu’il a commise en ayant l’air de blâmer un acte si fréquent, le voilà jeté à la porte et dépossédé de son mandat. C’est lui qui est traité d’immonde per sonnage. Moi, je trouve cela très gai. La farce ainsi commencée devait avoir des suites, car il n’est pas de bonne fête sans lendemain. C’est pourquoi, le lende main, a éclaté cette proposition de sup pression des décorations, qui a causé une hilarité universelle. Il est certain que, si l’on supprimait la marchandise, on supprimerait du même coup le marchandage. Mais que devien drait le gouvernement et comment pour rait-il s’assurer des élections favorables ? Il lui resterait les avancements, les em plois, les bureaux de tabac, les recettes buralistes,et pas mal d’autres arguments susceptibles de dissiper tous les doutes sur les vertus du parti au pouvoir ; mais l’absence de décorations creuserait un grand trou, sans compter que cela rap porte. On ne donne pas d’argent pour être décoré, oh l grand Dieu ! non l Seu lement on donne l’argent pour subvenir aux frais électoraux et l’on est décoré pour avoir donné l’argent. Il suffit de ^'exprimer en termes convenables.,...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
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