Extrait du journal
Vous pensez bien qu'en ce moment, mal gré le tohu-bohu des occupations et des soucis que traîne l'attente du 1er janvier, on ne s’entretient partout, et surtout à Pa ris, que des aveux d’Anastay, l’auteur pré sumé du crime du boulevard du Temple, et du procès criminel qui va s’ouvrir. Permettez-moi d’appeler votre attention sur une des conséquences les plus tristes de ces affaires retentissantes, et je n’en parle ici due parce qu’elle n’est point inévitable, parce qu’il serait facile ou du moins possible de corriger ce qui n’est qu’un abus. Aussitôt que l’on a découvert l’auteur d’un crime, l’habitude est de fouiller toute sa vie, d’étaler au grand jour tout ce qu’il a dit, écrit et fait. C’est là une des parties de l’instruction qui est toujours fouillée avec le plus grand soin. On ne se contente pas d’examiner le fait et les circonstances dont il est entouré ; on remonte le plus haut que l’on peut dans la vie des coupables ; on veut tout savoir; des renseignements nécessai res, on passe à ceux qui ne sont qu’utiles; et, des utiles, on arrive à ceux qui sont, j’oserai presque dire, de pur agrément. Le mal ne serait pas grand, après tout, s'il n’y avait de compromis, dans cette mi nutieuse enquête rétrospective, que le cri minel lui-même. C’est sa faute après tout si l’on jette ainsi en pâture à la curiosité publique tous les secrets de son existence, si i on expose tout son linge sale à la foule. Il a commis une grave faute, cette publi cité peut, quant à ce qui le regarde, être considérée comme une sorte d’expiation. Mais le fâcheux de l’affaire, c’est qu’il y a toujours des tiers mêlés â ces histoires que révèle l'enquête et, ces tiers sont très inno cents du meurtre. Ils s’étaient crus à l’abri de tous les yeux et protégés, contre toute indiscrétion, par le mur de la loi Guilloutet. Ainsi, tenez 1 on saisit dans les mains d’un ami une correspondance intime écrite par cet Anastay; on la lit, on en a le droit sans doute, et je ne le conteste pas. Je ferai pourtant remarquer qu’après l’aveu fait par le criminel lui-même, peut-être de vient-il assez inutile de connaître les aven tures de jeunesse qu’il peut conter à un camarade, dans le sein duquel il s’épanche ibrement. Admettons pourtant que les renseigne ments soient nécessaires sinon à la décou verte, au moins à la manifestation com plète de la vérité. Nos juges d’instruction, qui sont de leur temps, aiment à faire sur les criminels qu’ils ont entre les mains, des études psychologiques, et il n’y a pas de bonne étude de ce genre, si l’on ne sait à fond et le caractère de l’homme, et ses pas sions, et son histoire, et les mobiles qui le Font agir d’habitude. Au moins devrait-on écarter de ces rêvé-* lations les personnes, qui ont pris à ses aventures d’autrefois une part plus ou moins directe, mais qui n om rien à voir au crime que l’on poursuit. Anastay conte, dans une des lettres de la correspondance saisie , une histoire de garnison. Le régiment était en marche; il s’est arrêté dans une ville dont on donne le nom. Anastay a reçu l’hospitalité dans une maison ; en un tour de main il a fait la conquête de la femme, qui était agréable. Je n’insiste pas sur les détails. Le lende main, l’offlcier a bouclé sa valise, et il ne lui reste plus de cette aventure qu’un gai souvenir qu’il conte à son ami. Voifà la lettre saisie. Il n’en sera pour lui ai pis ni mieux. Qu’il ait, un beau soir, tourné la tête à une femme en quête de dis traction ou trop nerveuse, ce n’est pas mer veille ; qu’il ait profité de son affolement, cela n’ajoute ni n’ôte rien a l’horreur du crime qu’il a commis et pour lequel il est poursuivi. Mais la femme 1 â supposer même qu’elle ne soit pas nommée en toutes lettres, elle est suffisamment désignée dans la lettre et par le nom de la ville, et par la profession le son mari, et par certains détails, qui les rendent tous les deux aisément reconnais sables. Voyez-vous l’énorme tuile qui lui tombe sur la tète ? Admettez que l’histoire contée par ce jeu ne sous-lieutenant, écervelé et fat, soit fausse et Inventée de toutes pièces. Anastay ne serait pas le premier qui, pour faire blanc de son épée, se serait paré de bonnes fortunes imaginaires. La chose, telle qu’il la raconte, n’est pas absolument impossi ble; elle est assez peu vraisemblable. J’in clinerais â croire qu’elle n’est pas vraie et ïue le drôle s’est vanté....
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
En savoir plus Données de classification - anastay
- freppel
- gouthe-soulard
- ribot
- chadourne
- gallé
- nivert
- millevoye
- goblet
- deibler
- france
- pardaillan
- bulgarie
- sofia
- kayes
- paris
- chambre
- finistère
- royer
- allemagne
- sénat
- la république
- parlement