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Le Petit Marseillais, 31 juillet 1904

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Le Petit Marseillais
31 juillet 1904


Extrait du journal

On peut s’en assurer dans les vieilles chroniques : autant de fois que son poing levé put s’abattre, autant le chevalier Baudoin tua de Turcs, sans compter les fois, où, la fureur le prenant, il porta ses coups à cinq par seconde. Longtemps.il galopa ainsi. De partout, on venait le voir lorsqu’il se battait, et on se faisait place, à coups de hachette, pour l’approcher botte à botte et compter les Turcs qu’il envoyait en enfer : «Voilà, disait un ami, un coup frappé net 1 » — « Pardieu 1 disait un autre capitaine, voilà une belle balafre i » Au seul aspect du chevalier, les ennemis grognaient comme des porcs qu’on saigne et rece vaient par la figure tant de francs coups de sabre, que le Sultan étonné voulut prendre Baudoin et compta sa tête à cent boisseaux d’or, ce qui fit rougir le chevalier, par naturel très modeste. Mais voilà qu’un danger plus grand s’approchait. Garde à vous, chevalier I Les morts entassés par les Français s’étant arrêtés dans le Nil,à cause de leur abondance, le fleuve pua épouvantable ment. La peste entra dans les bataillons et y fit plus de mal que les Turcs. La faim s’ajouta bientôt à la peste. Comme ils étaient réduits à manger les poissons empoisonnés par les morts et qu’il n’avait plu de longtemps la gros seur d’un pois, tous les hommes de l’ar mée française avaient les gencives pour ries et la chair de leur jambes comme du hareng sec et fumé. En dépit de sa sobriété, le chevalier Baudoin songeait parfois aux bonnes bouteilles de Châteauneuf qu’il avait laissé dans sa cave... Mais tant pis ! il fallait souffrir la peine des autres. Lorsque tout à coup la mer veille eut lieu. Il était sur le sable, à un galop de l’armée, courbant sa tête pâle et regar dant son cheval qui tremblait comme un château de cartes. — Chevalier, dit une voix dans l’air, Il vit une belle chose vraiment. Deux anges planaient au-dessus de lui, à por tée, en tenant un seau à chaque main. —Noq.s.somcs envoyés par les pauvres gens de ton pays, dit le premier. Avec l’or que tu leur donnas quand tu partis à la Croisade, ils ont détourné le fleuve et l’ont fait passer dans leurs champs. Les terres rafraîchies ont maintenant beau coup de blé. Ce blé les a fait fiches, fois riches, ils ont couvert de raisins tous les coteaux d’alentour. De sorte qu’ils t’envoient ceci : Dans ce premier vase, il y a line part de leur pain, et dans ce second une part de leur vin. —Et ils ont pensé aussi à ton cheval, dit l’autre ange ; prends ce seau d’eau et ce sac d’avoine. Avant de toucher à ces choses, la pre mière pensée du chevalier fut pour sa patrie. — Mon village do Provence doit être beau maintenant que la rivière y passe. Les anges sourirent, étonnés de voir un homme plus saint qu’eux. — Vite, allons, bois et mange. Le chevalier mangea un morceau de pain et but une rasade de Chàteauneuf. Près de lui, le cheval broyait l’avoine et buvait l’eau du pays. — Puisque vous me dites qu’une rivière longe le coteau, dit avec poli tesse le chevalier aux deux anges, con seillez à mes pauvres bonnes gens de bâtir un moulin, à l’endroit, vous savez, où les deux routes se croisent. Dites-leur aussi de faire des filets, car les poissons du Pthône sont excellents. Il tourna son cheval vers les Sarrasins et les anges s’envolèrent en remportant les seaux vides. Pendant toute la Croisade,chaque soir, les anges arrêtaient leur vol y.ir le sable, aux pieds du chevalier, avec leurs seaux de vermeil remplis jusqu’aux bords de pain blanc, de vin frais, d’oignons d’oranges pour guérir la peste, et aussi d’avoine pour le cheval. Entre eux tous, ils parlaient un brin. On échangeait les nouvelles. Le chevalier envoyait dire aux pauvres paysans qu’il avait tué la veille dix-huit Turcs. En retour, les campa gnards reconnaissants l’informaient par là voix des anges qu’ils avaient bâti le moulin et mis les filets à l’eau. Et chacun repartait heureux, — tandis que l’armée française, à demi morte de faim et de soif, disait en montrant le chevalier Bau doin : — Voici celui que les pauvres nourris sent, parce qu’il se dépouilla pour eux. G. D’ESPARBÊS...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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